Les inattendus, les impossibles, les inespérés. Ce sont les succès que l’on savoure le plus.
Ce 1
er décembre 1991, en battant les États-Unis en finale de Coupe Davis à Lyon, l’équipe de France de tennis a signé l’un des plus grands exploits du sport tricolore. Trente ans après, jour pour jour, on se replonge dans ce souvenir délicieux. Protagonistes et témoins nous racontent cet exploit monumental.


Les deux nations se font face lors du tirage au sort. Le Saladier d'Argent, objet de toutes les convoitises, trône au centre de l'Hôtel de ville de Lyon. Photo archives Progrès/Richard MOUILLAUD

Les deux nations se font face lors du tirage au sort. Le Saladier d'Argent, objet de toutes les convoitises, trône au centre de l'Hôtel de ville de Lyon. Photo archives Progrès/Richard MOUILLAUD

Les Américains, grands favoris pour soulever le Saladier d'Argent, arrivent en terrain quasi conquis à Lyon. Mais la bande à Noah ne va pas baisser la tête. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Les Américains, grands favoris pour soulever le Saladier d'Argent, arrivent en terrain quasi conquis à Lyon. Mais la bande à Noah ne va pas baisser la tête. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Remise en contexte. Retour trois décennies en arrière, le vendredi 29 novembre 1991. Lyon ne le sait pas encore mais elle s'apprête à vivre trois jours hors du temps.

Le Palais des sports de Gerland se mue en arène le temps d’un week-end. Tennismen américains et français vont se rendre coups pour coups. Avec à la clé : le Saladier d’Argent, mythique trophée remis au vainqueur de la Coupe Davis.

Un ogre américain sur le sol lyonnais

L’affrontement a des allures de David contre Goliath. La France n’a plus atteint une finale depuis 1982. Elle fait face à l’ogre américain, tenant du titre, emmené par deux futures légendes de la balle jaune, Andre Agassi (21 ans, 10e mondial) et Pete Sampras (20 ans, 6e mondial), accompagnées par une paire de double (Ken Flach/Robert Seguso) intenable.

Pour les contrer, Yannick Noah, capitaine des Bleus depuis le début d’année, aligne Guy Forget (26 ans, 7e mondial) et Henri Leconte (28 ans, 159e mondial) qui n’est plus dans la force de l’âge. Un coup de poker tenté par le vainqueur de Roland Garros 1983 puisque « Riton » récupère doucement d’une blessure au dos, depuis trois mois.

Autant dire qu’il fallait être fou pour miser ne serait-ce qu’un kopeck sur une victoire des Bleus. Et pourtant…

Tout au long de la finale, le génie Yannick Noah a été en transe. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Tout au long de la finale, le génie Yannick Noah a été en transe. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Une finale épique

C’est l’actuel directeur des Internationaux de France, Guy Forget, qui a la lourde tâche d’ouvrir cette finale face à Andre Agassi. Mais, les débats tournent court. La star de l’équipe US ne fait qu’une bouchée du Frenchie en quatre sets (6-7, 6-2, 6-1, 6-2). Les espoirs d’un succès tricolore, déjà bien minces, se réduisent encore un peu.

Débats relancés par « Riton la foudre »

La France a un genou à terre. Henri Leconte va la remettre sur pied. Quand on ne l’attend plus. Remonté comme une pendule, « Riton » foudroie Pete Sampras. Le néophyte en Coupe Davis, impuissant, ne parvient même pas à prendre une manche au Français (6-4, 7-5, 6-4), touché par la grâce ce jour-là. Les Bleus sont relancés. Tous les espoirs sont permis.

La journée du samedi démarre et les deux équipes sont dos à dos (1-1). Toujours sur un nuage après son exploit de la veille, Henri Leconte emporte son acolyte Guy Forget dans un double légendaire. Poussés par un Palais des sports bouillant (voir ci-dessous), les Bleus renversent la paire américaine Flach/Seguso (6-1, 6-4, 4-6, 6-2), pourtant spécialiste de l’exercice à l’époque.

Le coup de grâce de Forget

La bande à Noah a fait le plus dur. Elle a désormais deux matches de simple pour conclure. La pression monte d’un cran. Guy Forget va s’en servir pour dominer Pete Sampras (7-6, 3-6, 6-3, 6-4), comme il l’avait fait un mois plus tôt en finale du Masters de Paris-Bercy. Cette fois, c’est fait ! La France soulève son septième Saladier d’Argent, 59 ans après les Mousquetaires de René Lacoste et Jean Borotra, entre autres.

Ce week-end-là, l’audace du capitaine Noah, le talent de Leconte et Forget mais aussi une enceinte en ébullition auront eu raison du génie américain.

Thibaut DALEGRE

Tout au long de la finale, le génie Yannick Noah a été en transe. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Tout au long de la finale, le génie Yannick Noah a été en transe. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Une finale épique

C’est l’actuel directeur des Internationaux de France, Guy Forget, qui a la lourde tâche d’ouvrir cette finale face à Andre Agassi. Mais, les débats tournent court. La star de l’équipe US ne fait qu’une bouchée du Frenchie en quatre sets (6-7, 6-2, 6-1, 6-2). Les espoirs d’un succès tricolore, déjà bien minces, se réduisent encore un peu.

Débats relancés par « Riton la foudre »

La France a un genou à terre. Henri Leconte va la remettre sur pied. Quand on ne l’attend plus. Remonté comme une pendule, « Riton » foudroie Pete Sampras. Le néophyte en Coupe Davis, impuissant, ne parvient même pas à prendre une manche au Français (6-4, 7-5, 6-4), touché par la grâce ce jour-là. Les Bleus sont relancés. Tous les espoirs sont permis.

La journée du samedi démarre et les deux équipes sont dos à dos (1-1). Toujours sur un nuage après son exploit de la veille, Henri Leconte emporte son acolyte Guy Forget dans un double légendaire. Poussés par un Palais des sports bouillant (voir ci-dessous), les Bleus renversent la paire américaine Flach/Seguso (6-1, 6-4, 4-6, 6-2), pourtant spécialiste de l’exercice à l’époque.

Le coup de grâce de Forget

La bande à Noah a fait le plus dur. Elle a désormais deux matches de simple pour conclure. La pression monte d’un cran. Guy Forget va s’en servir pour dominer Pete Sampras (7-6, 3-6, 6-3, 6-4), comme il l’avait fait un mois plus tôt en finale du Masters de Paris-Bercy. C’est fois, c’est fait ! La France soulève son septième Saladier d’Argent, 59 ans après les Mousquetaires de René Lacoste et Jean Borotra, entre autres.

Ce week-end-là, l’audace du capitaine Noah, le talent de Leconte et Forget mais aussi une enceinte en ébullition auront eu raison du génie américain.

Thibaut DALEGRE

Guy Forget en transe après sa victoire sur Pete Sampras. Photo archives Progrès/Richard MOUILLAUD

Guy Forget en transe après sa victoire sur Pete Sampras. Photo archives Progrès/Richard MOUILLAUD

L'enfer de Gerland

Une cocotte minute. Du vendredi au dimanche, le Palais des sports de Gerland a bouillonné au rythme des coups gagnants tirés par les Bleus. Une atmosphère de corrida a régné jusqu’à ce que le toréro Forget achève du bout de sa raquette le taureau Sampras, trop tendre ce jour-là, devant une foule de 8 300 personnes en délire.

Laurent Vignat, habitant de Solaize, a conservé la Une du Progrès du lundi 2 décembre, lendemain de la victoire des Français. Photo fournie par l'intéressé

Laurent Vignat, habitant de Solaize, a conservé la Une du Progrès du lundi 2 décembre, lendemain de la victoire des Français. Photo fournie par l'intéressé

« Je me souviens comme si c’était hier de cette ambiance extraordinaire, des tribunes à l’unisson du début jusqu’à la fin et puis cette joie immense sur le dernier point, se remémore David Guigard, un Lyonnais en tribunes, le 1er décembre 1991.


Revivez le dernier jeu de service de Guy Forget dans l'ambiance lyonnaise :


« Dans ma vie, j’ai eu la chance d’assister à de grands événements sportifs, comme des matches de Ligue des champions à l’étranger ou même la finale de handball des Jeux Olympiques en 2012 avec l’équipe de France, mais rien n’a valu cette ambiance », ajoute-t-il.

« Tout le monde tapait des pieds, ça tremblait énormément, c’était infernal ».

« Le vendredi, il y avait une bonne ambiance mais rien à voir avec le dimanche. Ça a été de la folie, se rappelle Laurent Vignat, habitant de Solaize, qui avait 26 ans à l'époque. Tout le monde tapait des pieds, ça tremblait énormément, c’était infernal. On se demande encore comment le Palais des sports ne s’est pas effondré ce jour-là. »

« Un Forget démonstratif »

La déroute des États-Unis, le Palais des sports de Gerland y a donc grandement contribué. Chauvin, assourdissant, le public lyonnais a galvanisé les Français et fait dégoupiller les Américains. « On sentait Guy Forget porté par le public. Le Forget introverti que l'on avait l'habitude de voir avait laissé place à un Forget démonstratif qui serrait le poing après chaque point. Il avait aussi un contact très puissant avec Noah », lâche David Guigard.

L'ambiance conviviale a duré une bonne heure après la balle de match. Joueurs, staff et spectateurs ont dansé au rythme de Saga Africa, la chanson écrite par Yannick Noah. La belle image est restée dans les esprits.

Ce week-end-là, Gerland a offert à ses soldats une vraie ambiance de Coupe Davis. Comme on n'en voyait qu’en Europe de l’est ou en Amérique du sud. Et comme on n'en verra probablement plus jamais avec la disparition du format "home and away" (rencontres à domicile et à l'extérieur en français) qui a pourtant fait le succès de la Davis.

Thibaut DALEGRE

Guy Forget et Henri Leconte pendant leur tour d'honneur au Palais des sports de Gerland. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Guy Forget et Henri Leconte pendant leur tour d'honneur au Palais des sports de Gerland. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Auteur du point décisif contre Sampras, Guy Forget savoure l’extraordinaire aventure humaine, avec Yannick Noah en chef de cordée, qui permit de faire tomber les Etats-Unis. Et de ramener, enfin, le Saladier d’Argent en France.

Guy Forget, quels souvenirs reviennent en premier quand vous vous remémorez cette finale de 1991 ?

«Je dirais que c’est beaucoup, beaucoup d’émotions avec des rires et des larmes, parce que c’était un rêve d’enfant qui se réalisait pour nous tous. Une fois que tout était terminé, on s’était rendu compte que nous avions permis à des tas de gens de vibrer presque comme nous. C’est là que le sport est incroyable. Trente ans plus tard, j’ai encore des personnes qui me parlent avec des détails très précis de cette finale. C’est touchant.»

«Je n’avais jamais vu une ambiance pareille dans un stade de tennis»

Pourquoi a-t-elle autant marqué le tennis français, mais aussi le sport français ?

«Parce que pendant longtemps les sportifs ont été considérés comme des gens marginaux et parce que le Français était celui qui se bagarrait bien mais échouait souvent au pied du podium. Là, tout était réuni pour que ça se reproduise mais, au fil du week-end, les gens ont compris qu’ils étaient peut-être en train de vivre quelque chose d’incroyable. Et que le vent allait tourner. Battre ces joueurs-là (Pete Sampras, Andre Agassi, Ken Flach, Robert Seguso) était, pour nous, un exploit.»

Guy Forget est actuellement le directeur de Roland Garros. Photo Progrès/Joël PHILIPPON

Guy Forget est actuellement le directeur de Roland Garros. Photo Progrès/Joël PHILIPPON

N’est-ce pas, également, en raison de l’incroyable ferveur qui s’est emparée du palais des sports de Gerland ?

«Oui, bien sûr, mais c’est vraiment à partir du moment où nous avons gagné le double que les gens ont pensé que c’était possible. Je n’avais jamais vu une ambiance pareille dans un stade de tennis. C’était incroyable !»

N’est-ce pas avant tout une formidable aventure humaine ?

« Bien sûr ! Je répète souvent que le principal défaut du tennis est qu’il est un sport individuel et que les athlètes de très haut niveau sont assez égoïstes. Ce qui nous manque, parfois, c’est cette dimension de partage. Et là, il y a eu cette notion d’équipe avec un public ne s’est jamais senti autant impliqué dans une victoire. Il y a eu celle de Yannick à Roland-Garros en 83 mais là, les gens disaient : "On a gagné." C’est pour ça que la Coupe Davis est magique. Et c’est ce qui manque terriblement, aujourd’hui, à cette épreuve. »

«Des gens m’en parlent encore avec des trémolos dans la voix»

De l’extérieur, on a eu l’impression que votre balle de match, celle du titre, se jouait au ralenti. Avez-vous eu la même sur le court ?

«C’est peut-être parce qu’on l’a beaucoup revue au ralenti ! Mais ça va très vite et j’étais très concentré à ce moment-là, parce que je savais que le match pouvait durer encore une seconde comme une heure. Et, quand je me laisse tomber, c’est plus par soulagement. C’est une délivrance. C’était un vrai combat, et c’est bon quand le combat se termine !»

Est-ce le point le plus important de votre carrière ?

«Oui, c’est le point le plus marquant. Pour tout ce que ça représente. Des enchaînements comme celui-là, j’en ai fait des centaines. Il n’est que la concrétisation d’années de répétition. Et, ce qui est marrant, c’est que j’ai fait à la perfection ce service-volée. Deux coups qui ont été les plus durs que j’aie faits dans ma vie alors que le coup droit qui a suivi est un coup de débutant ! Que je ne pouvais pas rater ! C’est comme un retour aux sources.»

Cette victoire a-t-elle changé votre carrière ?

«Oui, bien sûr, parce que je crois que les images de cette victoire ont marqué les amoureux de tennis et de sport en France. Des gens m’en parlent encore avec des trémolos dans la voix.»

Partager cela avec votre pote, Yannick Noah, est-il encore plus fort ?

«Oui, et avec Henri, qui m’a permis de réaliser ce rêve. Yannick était notre grand frère à tous. Sans lui, nous n’aurions pas fait nos carrières. Il était notre chef d’orchestre et c’était très symbolique de gagner avec lui.»

Yannick Noah encourage son poulain et ami Guy Forget. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Yannick Noah encourage son poulain et ami Guy Forget. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Vous n’avez jamais été en réussite au GPTL. Un paradoxe quand on voit que vous avez marqué, au palais des sports, le point le plus important de votre carrière ?

«Et je n’échangerais en rien ce point contre toutes mes défaites à Lyon ! Si j’ai tout donné ce jour-là, tant mieux, parce que le palais des sports de Gerland reste un lieu magique pour moi. Et le GPTL était un tournoi que j’adorais. Mais, alors que j’ai remporté tous les tournois en France, je n’ai jamais été en réussite à Gerland. Au moins la coupe Davis m’aura-t-elle permis de me réconcilier avec le palais des sports ! Et, en finale, il y avait tellement de bruit que parfois, au changement de côté, je n’arrivais pas à entendre ce que Yannick me disait ! Il devait me hurler dans les oreilles pour que je l’entende. Je n’ai jamais vécu ça ailleurs.»


On a l’impression qu’il y a eu un avant et un après « Gerland 91 », que cela a déclenché quelque chose ensuite au niveau du public…

«Cela a été tellement magique qu’on a eu l’impression  qu’ensuite, tout était mesuré par rapport à Lyon. Et je pense que si nous avons eu du succès, par la suite, en coupe Davis, c’est probablement parce qu’il y avait eu Lyon.»

Vous qui êtes très attaché à l’histoire la présence de Jean Borotra, dans les vestiaires après la victoire, a-t-elle ajouté un piment supplémentaire à ce triomphe ?

«Oui, bien sûr, comme le fait de voir Philippe Chatrier (président de la FFT de 1973 à 1993) si ému. C’était un rêve, pour lui, de ramener la coupe Davis en France. Et puis je jouais avec la raquette que René Lacoste avait inventée. Une raquette un peu révolutionnaire. Je sais que pour lui, c’était très fort que je joue avec elle en finale.»

Parlez-vous souvent, entre vous, de cette finale ?

«Nous savons qu’un lien s’est créé ce jour-là. A tout jamais. On n’a pas besoin de commenter sans arrêt nos points, nos matches. C’est une tellement belle victoire, ensemble… C’est comme si nous avions fait l’ascension de l’Everest, tous ensemble, en cordée, attachés les uns aux autres. Nous avons fait quelque chose que l’on pensait impossible et, forcément, cela crée des liens particuliers.»

Propos recueillis par Luc PAGANON

En cette fin d’année 1991, Régis Betoule, top 20 français, fait partie des gros fêtards du circuit tennistique tricolore. Dans le monde de la nuit lyonnais, le trentenaire est connu comme le loup blanc. Il a dû gérer, dans l'urgence, toutes les festivités autour de la victoire inattendue des Bleus. Il raconte une «grosse bringue».

Alors quand la France se qualifie pour la finale de la Coupe Davis, du vendredi 29 novembre au dimanche 1er décembre au Palais des Sports de Gerland, c’est tout naturellement que les membres de la Fédération française de tennis font appel à lui pour organiser les soirées lyonnaises.

Le tennis festif

«A l’époque, je suis le seul joueur à Lyon de la génération de Noah à avoir le niveau (1re série, -30) et à connaître tous ces gars de l’équipe de France. C’est vrai que je sortais pas mal donc j’avais les réseaux et connexions. A l’époque, quand on gagnait un tournoi, on allait fêter ça en boîte, c’était le tennis festif», se remémore Régis Betoule, crâne rasé et épaisses montures noires sur le bout du nez.

Au TC Lyon, la photo de Régis Betoule et Yannick Noah figure en bonne place sur les murs du club. Photo Progrès/Marion SAIVE

Au TC Lyon, la photo de Régis Betoule et Yannick Noah figure en bonne place sur les murs du club. Photo Progrès/Marion SAIVE

Pour accueillir les 200 membres de la Fédé, anciens joueurs et agents venus à Lyon pour l’occasion (Thierry Tulasne, Thierry Pham, Denis Naegelen ou Danielle Bombardier), « le roi de la nuit » négocie des tables de 10, 15, 20 personnes auprès de copains restaurateurs de la rue Mercière, en Presqu’île, non loin de l’hôtel de la délégation française qui se trouve place Bellecour.

«Tout le monde était à pied. Le soir, je leur passais un coup de fil et on se retrouvait au milieu de la rue Mercière. A chacun de nos passages, on avait droit aux applaudissements», poursuit l’ancien tennisman. A Lyon, personne ne croit à la victoire de la France face aux Etats-Unis de Sampras et Agassi. Alors le vendredi soir, alors qu’Henri Leconte vient de remporter son simple et de recoller à 1-1 après la défaite de Forget, «toutes les vitres des restaurants tremblaient quand on a débarqué rue Mercière», se souvient Régis Betoule.

« Yannick a traversé tout Mercière accompagné de cette masse humaine qui chantait la Marseillaise »

Le lendemain soir, la France mène 2-1 après le double. «Là, je reçois un coup de fil de Yannick (Noah). Il est calfeutré comme le reste de l’équipe dans son hôtel, il n’en peut plus, il a besoin de décompresser. Il décide de nous rejoindre au restau. Il débarque à 23h, tout seul au beau milieu de la rue Mercière, bonnet sur la tête. De chaque côté de la rue, derrière les vitres des bouchons lyonnais, tout le monde le reconnait. Les gens quittent leurs tables, abandonnent leurs escalopes milanaises et foies de veau, pour le rejoindre dans la rue. Yannick a traversé tout Mercière accompagné de cette masse humaine qui chantait la Marseillaise, jusqu’à moi. La foule s’agglutinait contre les parois du restaurant, j’ai cru que les baies vitrées allaient flancher», sourit l’ex-patron de restaurants.

Ce soir-là, Noah se fait raccompagner en voiture jusqu’à son hôtel, par mesures de sécurité.

«A la dernière minute, ils ont réussi à remplir les frigos de champagne»

A 17h dimanche 1er décembre, la France remporte la Coupe Davis. «J’ai remué ciel et terre pour trouver un lieu disponible pour nous accueillir pour faire la fête le soir-même. On a fait diversion et on s’est retrouvés à 300 à l’hôtel Actuel de la Part-Dieu vers 21h. A la dernière minute, ils ont réussi à remplir les frigos de champagne», enchaîne Régi, préposé à valider les entrées à l’accueil ce soir-là, aux côtés de quatre videurs.

«Après un dîner avec les Américains à l’hôtel de ville, toute l’équipe nous a rejoints vers minuit avec femmes et enfants. Ils étaient chez eux dans cette boite aux allures d’arène. Là, ça a été la grosse bringue. On a beaucoup dansé, Yannick et les gars ont refait Saga Africa. On a terminé vers 6-7h du matin et ceux qui avaient réservé leur chambre à l’hôtel n’ont pas eu à l’utiliser», retrace Régis, un brin nostalgique de cette soirée... Mémorable à plus d’un titre le concernant, puisque c’est là qu’il rencontra sa future épouse, Sophie.

Marion SAIVE

Régis Betoule et Yannick Noah, le dimanche soir après la victoire, dans la boîte de nuit lyonnaise Actuel, à la Part-Dieu. Photo fournie par Régis Betoule

Régis Betoule et Yannick Noah, le dimanche soir après la victoire, dans la boîte de nuit lyonnaise Actuel, à la Part-Dieu. Photo fournie par Régis Betoule

Comme un symbole, Henri Leconte, à qui Yannick Noah a offert une confiance aveugle, sauve les Bleus en égalisant face aux Américains le vendredi. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Comme un symbole, Henri Leconte, à qui Yannick Noah a offert une confiance aveugle, sauve les Bleus en égalisant face aux Américains le vendredi. Photo Progrès/Richard MOUILLAUD

Revenu de nulle part après avoir été opéré du dos quelques mois plus tôt, Henri Leconte, le « vengeur masqué », avait été éblouissant face à Pete Sampras.

Henri Leconte, quels souvenirs remontent à la surface au moment de fêter le trentième anniversaire de la victoire de l’équipe de France en coupe de France à Lyon ?

«Cela ravive plein de bonnes choses. Cette victoire a marqué le sport français et c’est pour cela que j’ai voulu faire un documentaire pour remercier les hommes de l’ombre qui nous ont aidés à gagner (1). On ne parle que des joueurs, qui ont fait des choses extraordinaires mais, sans cette équipe qui était présente autour de nous, nous n’y serions jamais arrivés. Et c’est encore plus fort pour moi, qui avais été opéré du dos et étais reparti de zéro pour arriver en pleine possession de mes moyens pour cette finale. Quand je vois ce qui se passe en ce moment avec cette nouvelle coupe Davis, qui n’a ni queue ni tête…»

Cette nouvelle formule vous rend-elle triste ?

« Oui… C’est la preuve que l’argent ne fait pas le bonheur pour tout le monde. On ne peut pas enlever cette passion que nous avons pour le sport. La preuve, c’est la Ryders cup, pour laquelle les meilleurs golfeurs du monde se battent. J’en veux beaucoup à Giudicelli (ancien président de la FFT). Pourquoi avoir pris cette décision ? Bien sûr qu’on pouvait la moderniser, mais il ne fallait pas toucher à la coupe Davis. Il fallait conserver cette folie, cette générosité qu’on avait quand on jouait à domicile. C’est un rêve de gosse, un rêve pour tout le monde. On a vu des joueurs qui n’étaient pas très bons sur le circuit et qui devenaient des tueurs en coupe Davis. »

Vous parlez de folie. Ce week-end, à Lyon, c’était la folie ?

« Quand je revois les images, je me dis qu’il va y avoir un trou au milieu du palais des sports de Gerland ! »

« En plus de mon caractère, qui m’a permis de communiquer avec le public et générer cette puissance »

Et le premier pyromane, ce fut vous !

« Oui, c’est moi qui ai allumé la mèche. On a senti, au bout de deux jeux, que j’étais dans ma zone, ce qui m’a permis de me surpasser. En plus de mon caractère, qui m’a permis de communiquer avec le public et générer cette puissance. »

Ce match contre Sampras fut-il le plus beau de votre carrière ?

« J’en ai eu d’autres, mais oui. Il représente tout. Cette victoire mettait fin à 59 ans de disette, c’est la France, et j’avais quand même une revanche à prendre après ma finale perdue à Roland-Garros (1986). »

Avez-vous envie de remercier Yannick Noah de vous avoir fait confiance alors que vous étiez 159e mondial et que vous partiez de très, très loin après votre opération du dos ?

« Oui, bien sûr, et Yannick savait très bien qu’Henri, si on lui disait "je suis avec toi, on t’aime et tu vas gagner", il était capable de faire cet exploit. J’ai cette force en moi et j’arrive à occulter, ce qui est très, très important.  Et dès que vous avez trouvé votre zone, pour vous en faire sortir, ce n’est pas facile ! Mais, surtout, c’est le travail que j’ai fait pour en arriver là. »

«Quand je lui ai dit qu’on allait être à 1-1 deux heures plus tard il m’a dit : "T’es un mutant!"»

Un week-end comme celui-ci est-il jouissif ?

« Oui, mais ce sont les dix jours qui l’ont été. A l’entraînement, je mettais des pâtés à tout le monde ! Et l’intelligence de Yannick et Patrice (Hagelauer) a été de ne pas me faire jouer contre Guy. Imaginez si je lui avais mis une branlée à l’entraînement ! La grande force du staff a été de remobiliser l’équipe après la défaite de Guy contre Agassi et c’est fantastique qu’il ait gagné le dernier jour. »

Que vous avez rassuré avant de rentrer sur le court le vendredi… Vous étiez sûr de battre Sampras ?

« Oui. Quand je lui ai dit qu’on allait être à 1-1 deux heures plus tard il m’a dit : "T’es un mutant" ! Je lui ai dit que j’allais lui mettre une branlée, à l’autre (Sampras) et, deux heures plus tard, je lui ai dit : « tu vois, je te l’avais dit ! » Et après, on a poursuivi sur les mêmes bases en remportant les dix-sept premiers points du double ! Un truc de fou. 4-0 pour commencer ! Circulez, il n’y a rien à voir ! Gerland était en feu ! »

Henri Leconte (à droite) de retour au Palais des sports de Gerland en 2014. Photo archives Progrès/Pierre AUGROS

Henri Leconte (à droite) de retour au Palais des sports de Gerland en 2014. Photo archives Progrès/Pierre AUGROS

Auriez-vous été prêt à aller défier Agassi le dernier jour si Guy avait perdu contre Sampras ?

« Oui, mais je ne préférais pas ! L’histoire est belle comme ça. Et il ne faut pas oublier qu’on était dans notre bulle, sans portable, sans télé, sans ordinateur, pendant un mois. On a compris l’effervescence autour de l’événement le lundi… »

Le palais des sports de Gerland restera-t-il, à jamais, une salle particulière pour vous ?

« Oui, à jamais. C’est vraiment un endroit particulier et, à chaque fois que j’y revenais pour le GPTL, c’était fabuleux. Nous y avons vécu des moments tellement forts… »

Propos recueillis par Luc PAGANON

(1)    Présenté mercredi à Lyon.

Souvenirs souvenirs

Ils sont nombreux à avoir gardé des images indélébiles de cet exploit. Et du caractère fondateur qu'il a eu dans l'histoire du sport français.

Gilles Moretton, président de la FFT :
« Un déclencheur pour décomplexer la France »

Gilles Morreton, le président de la Fédération de tennis. Photo Progrès/Sonia BARCET

Gilles Morreton, le président de la Fédération de tennis. Photo Progrès/Sonia BARCET

« Cette finale a été un déclencheur pour décomplexer la France qui ne gagnait pas avant dans les sports collectifs. C’est le succès d’une génération. Cette équipe a été unique. »


Patrice Hagelauer, entraîneur de l’équipe de France : « La victoire passait par Henri »

Patrice Hagelauer. Photo archives Progrès/Pierre AUGROS

Patrice Hagelauer. Photo archives Progrès/Pierre AUGROS

« Après la demi-finale Yannick a dit à Henri : ‘‘Cette Coupe Davis, on va la gagner et on va la gagner avec toi.’’ A Lyon, il lui a dit : ‘‘Henri, je te le répète : on va gagner avec toi !’’ Et là, Henri s’est mis à chialer. Il avait une telle envie d’en découdre ! C’était fabuleux ! Je savais que lorsqu’il était dans cet état second, il était capable de battre n’importe qui. La victoire passait par Henri. Et il y a eu un public extraordinaire. »


Fabrice Santoro, joueur :

« Gerland était en feu tout le week-end »

Fabrice Santoro au Grand Prix de tennis de Lyon en 2007. Photo archives Progrès/Jean Marc COLLIGNON

Fabrice Santoro au Grand Prix de tennis de Lyon en 2007. Photo archives Progrès/Jean Marc COLLIGNON

« Pour moi, cette victoire est un exploit historique puisque, à l’époque le sport Français n’avait pas encore remporté de titre majeur, au niveau mondial. Donc, on peut dire que cela reste le premier titre de champion du monde. C’était complètement dingue.  »


Jean Wallach, ancien président de la ligue du Lyonnais : « Je retiens le bruit »

Jean Wallach. Photo Progrès/Catherine AULAZ

Jean Wallach. Photo Progrès/Catherine AULAZ

« J’étais en Allemagne le vendredi et le samedi et, quand je suis arrivé à Gerland, le dimanche, c’était de la folie. Ce que je retiens, c’est le bruit. »


Thierry Ascione, directeur de l’Open Parc Auvergne-Rhône-Alpes Lyon :
« Un exploit incroyable »

Thierry Ascione à la remise de trophée de l'Open Parc de Lyon dont il est le directeur. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Thierry Ascione à la remise de trophée de l'Open Parc de Lyon dont il est le directeur. Photo Progrès/Maxime JEGAT

« J’avais 10 ans. C’est mon premier grand souvenir de sport. Un truc incroyable pour n’importe quel gamin et passionné de tennis. C’était tellement improbable ! C’était exceptionnel, incroyable. C’est peut-être la première fois où les gens se sont approprié une performance, parce qu’ils vivaient un moment unique. Ils peuvent encore le raconter aujourd’hui au diner !  »


Lionel Roux, directeur de l’Open Sopra Steria de Lyon : « Nous étions pris dans un tourbillon »

Lionel Roux à l'Open Sopra Steria de Lyon en 2019. Photo Progrès/Joel PHILIPPON

Lionel Roux à l'Open Sopra Steria de Lyon en 2019. Photo Progrès/Joel PHILIPPON

« J’avais 18 ans. Je ne me souviens presque pas du jeu mais, ce qui m’a marqué, c’est l’ambiance. Nous étions pris dans le tourbillon. On tapait des pieds, criait, pour que ça dure le plus longtemps possible. C’était une véritable tornade qui n’arrêtait pas ! »

Propos recueillis par Luc PAGANON