8 jours sur le chemin de Saint-Jacques

Rencontre avec la randonnée
et avec mes pieds

Tout au long de l'été, Le Progrès vous a emmenés en balade le long
du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Huit étapes, découpées en une partie ligérienne et une partie altiligérienne, pour un total
de 160 kilomètres, à pied, sac sur le dos. Je m'y suis collée.
Je vous raconte.

Jour 1

Jeudi 11 juin, 8h30, en gare de Châteaucreux.

Sac sur le dos, masque sur le nez et légère boule dans le ventre,
je grimpe à bord d’un autocar en direction de Roanne, d’où je dois récupérer un autre autocar qui me conduira à Charlieu.

D’ici 5 heures, je m’élancerai ainsi sur le tronçon du chemin
de Saint-Jacques qui relie Cluny au Puy-en-Velay, seule et à pied,
pour une centaine de kilomètres à avaler en 5 jours. Un défi enthousiasmant… Mais que j’ai accepté non sans une bonne dose d’inconscience : cette itinérance sera en effet la toute première randonnée de ma vie, et elle aurait donc mérité que je la prépare méticuleusement. Au lieu de ça, j’ai préféré tout miser sur mon entrain (un brin démesuré), et je découvrirai bientôt que j’aurais plutôt dû
le mettre en sourdine deux minutes au profit d’un tant soit peu
de discernement.

Mais pour l’heure, à bord de mon autocar, je me réjouis simplement
de cette aventure qui m’attend, me laissant peu à peu envahir
par l’adrénaline…

… Adrénaline qui va d’ailleurs me pousser tout au long de
ma première étape, de Charlieu à Noailly.

Pas engagé, moral au beau fixe et rythme soutenu, je découvre avec plaisir et sourire niais les routes, chemins et paysages qui défilent sous mes yeux et mes pieds. C’est donc ça, le Saint-Jacques : passe
du goudron en plein milieu des prés au petit chemin en forêt, puis
à la piste arborée et aux allées encailloutées.

Des villages à traverser, des pâtures, des cultures, des arbres,
des vaches, des moutons, des oiseaux. Un petit côté « waouh, je fais corps avec la nature, c’est génial Â»â€¦ Jusqu’à ce que le poids de mon sac me rappelle que je ne suis qu’une pauvre pièce rapportée pour laquelle cette espèce de déambulation n’a quand même pas grand-chose
de naturel.

Après une quinzaine de kilomètres, il me faut une pause aux abords
de l’abbaye de la Bénisson-Dieu pour que je me rende compte que mes jambes commencent à me faire mal et que mon dos est fatigué.

Par chance, ce jour-là, il ne me reste ensuite que 3 petits kilomètres
à parcourir avant d’atteindre mon hébergement du soir, soit assez peu pour ne pas souffrir. Le répit sera pourtant de courte durée.

Jour 2

Vendredi 12 juin, 8 heures, dans la chambre d’un accueil Jacquaire, sur les hauteurs de Noailly.

Par la fenêtre, j’aperçois le chemin sur lequel je vais m’élancer pour une seconde étape. Dehors, il pleut des litres d’eau. J’apprendrai d’ailleurs à mon retour que ce secteur de la Loire a été victime ce jour-là de lourdes inondations.

Encore une fois peu consciente de ce qui m’attend, je m’enroule
dans plusieurs couches imperméables, croyant sans doute que mon accoutrement associé à mon enthousiasme peut assécher une tempête. Je vais déchanter bien vite.
Déguisée en gros sac poubelle, j’entame un petit chemin recouvert d’herbes folles qui dissimulent complètement les énormes flaques
dans lesquelles je pose mes pieds à chaque pas. Au bout de 150 mètres, je suis trempée jusqu’aux genoux… Et j’ai 18 kilomètres à parcourir.

Le vrai problème avec la flotte, outre le fait que ça mouille, c’est que, lorsque ça infiltre tes chaussures, ça pèse une tonne. La solution
pour palier à ça, c’est d’avoir de bonnes chaussures de marche dans lesquelles l’eau ne s’infiltre pas. Mais comme j’ai préféré opter pour
des vieilles godasses de rando « gentiment Â» prêtées par ma grand-mère, je n’ai plus qu’à serrer les dents en pensant à l’arrivée. Histoire d’oublier qu’à chaque pas, t’es pas sûre de faire le suivant. Que lorsque ton pied est lourd et que tu t’enfonces dans le sol, ton sac parait encore plus lourd qu’il ne l’est déjà. Que tu commences à sentir ta peau se rider… Et que ça sous-entend que cette journée un peu merdique à marcher sous des trombes d’eau pourrait ne pas être la pire.

Jour 3

Samedi 13 juin, 10 heures, dans une ruelle de Saint-Haôn-le-Châtel.

La pluie a enfin stoppé son vacarme. La veille, en arrivant au gîte pour y passer la nuit, je suis restée plusieurs heures enroulée dans mon duvet et dans des couvertures pour me réchauffer de mes mésaventures mouillées.

En enlevant mes chaussures, j’ai découvert de grosses ampoules pleines de sang sous mes talons, que j’ai tenté de soigner comme je pouvais. Et ce matin, si le magnifique paysage et les rayons de soleil me mettent un grand coup de baume au cœur durant les premiers kilomètres, les 12 derniers vont être beaucoup plus difficiles.

Pour regagner Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-Loire, le chemin se fait essentiellement en côte, ce qui sera d’autant plus dur physiquement que mes saloperies de chaussures vont finir de me bousiller les pieds. Encore trempées, dures comme du bois, lourdes comme la pierre, merci Mamie.

Item 1 of 4

En fait, quand tu as une ampoule et que tu continues à marcher,
tu prends ton appui sur une autre partie du pied pour ne pas avoir trop mal. Le hic, c’est qu’en t’appuyant sur cette autre partie du pied…
Tu finis par développer une autre ampoule. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que tes dessous de pied en soient recouverts, du talon à l’orteil.

À partir de là, ta démarche devient totalement anti-naturelle. Et, outre le fait d’avoir l’air stupide (ce qui, en pleine cambrousse et avec des mouches comme seules compagnes de voyage, n’est pas très grave je vous l’accorde), va petit à petit provoquer des douleurs, depuis
le dessus des chevilles jusqu’aux épaules, en passant par les genoux et même les hanches. Du coup, dans les derniers kilomètres, je boite carrément, et jamais de la même jambe. Paye ta dégaine :

Jour 4 et 5

Dimanche 14 juin, 10 heures.

Alors que je suis occupée à baffrer mon petit déjeuner préparé par
mon hôtesse bienveillante, je ne me doute absolument pas que je suis en train de vivre mes dernières heures de validité avant plusieurs jours.

Enroulés dans des pansements et sparadraps, mes pieds me donnent l’impression d’aller mieux. Et ce serait sans doute vraiment le cas si je pouvais randonner pieds nus. Avec des godasses pourries… Impossible. 500 mètres de chemin en descente suffiront à me faire comprendre que cette fois-ci, c’est vraiment compliqué : j’ai 43 kilomètres à parcourir en deux jours avant d’attraper un bus pour rentrer chez moi, et j’ai envie d’hurler pratiquement à chaque pas.

Plus j’avance, moins j’avance vite, et plus je multiplie les pauses, parfois même les fesses posées en plein milieu du chemin ou au bord de la route, parce qu’il me parait impossible d’aller plus loin. 

À la fin du 4e jour, je n’ai plus de doute : la nuit n’aura sur moi aucun effet et je dois me préparer à souffrir tout au long de la dernière journée.

Elle se révèlera d’ailleurs pire que ce que j’envisageais. Plus aucun plaisir. Plus aucun sourire. Une vitesse moyenne d’à peine 3 kilomètres heure. Finis les « je fais corps avec la nature gnagnagna ».

À certains moments, pensant être totalement seule, je m’autoriserais même à gueuler pour m’encourager, comme si le caporal-chef en moi était en train de me regarder tituber, flippé à l’idée que je puisse laisser tomber : « Alleeeeeeez Cerise ! T’es une Rocheeeet ! Une Rochet ça abandonne paaaas ! Â»

Tout ça, sans compter les galères rencontrées sur ces 20 derniers kilomètres : coup de panique quand un troupeau de vaches s’est mis à me courir après ; autre coup de panique en longeant une réserve de chasse, en entendant les coups de fusil se rapprocher, et en croisant une biche au galop totalement affolée ; et puis, chemin inondé à quelques mètres de l’arrivée, m’obligeant à couper à travers bois et à faucher des orties avec ma perche à selfie pour me frayer un passage. Plus aucun plaisir, donc. Juste de la souffrance… Mais la satisfaction énorme d’être quand même allée jusqu’au bout.

Lundi 15 juin, 18h30, gare de Saint-Étienne Châteaucreux. Je descends du bus qui m’a ramenée depuis Montbrison… Et j’attendrai environ une semaine, avant de remarcher normalement.

Jour 6-7 et 8

Vendredi 24 juillet, 8h30, gare de Châteaucreux (encore elle), dans un train en direction de Retournac.

Il fait beau, chaud, mon sac est plus léger que la dernière fois, et je suis de nouveau enthousiaste à l’idée de me remettre à marcher. Persuadée que je ne pourrai pas vivre pire expérience que le mois d’avant, j’ai troqué les godasses pourries (désolée Mamie) contre une paire de vieilles baskets dans lesquelles je me sens comme dans des pantoufles. Toujours pas de chaussures de marche, mais ce sera toujours mieux.

Au menu de ces trois jours : 60 kilomètres, dont 27 le premier jour, pour rallier le Puy-en-Velay. Le tout, avec davantage d’expérience que la première fois… Et cela va faire toute la différence. Meilleure gestion du temps, meilleure gestion de la marche, meilleure gestion des petits maux. Au moindre petit échauffement des pieds, cette fois-ci, je m’arrête, j’enlève mes grolles, je vérifie que je n’ai pas d’ampoule, je mets de la crème, et même des pansements en prévention. Il faut dire que sans pluie, tout est plus facile, aussi. Peut-être même un peu trop… Lors de la première étape, alors que je descends un chemin bien raide et plein de caillasse, pétée de confiance de voir à quel point tout se passe bien, j’en oublie un peu de regarder où je pose mes pieds. Réponse immédiate du karma :

Pas de bobo, mais une sorte de dernière petite calotte, histoire de me rappeler que la rando, c’est jamais simple, ni jamais gagné.
Une dernière leçon, immédiatement mise en pratique, qui me permettra d’apprécier pleinement tous les kilomètres me séparant
du Puy-en-Velay, au point d’envisager, déjà, de repartir en itinérance l’an prochain.