Le Rocher percé,
le dernier vestige
du canal de Givors

Le bassin du Canal à Rive-de-Gier. Photo Delcampe

Le bassin du Canal à Rive-de-Gier. Photo Delcampe

L’autoroute, si proche et pourtant invisible, s’entend. Le dernier vestige du canal de Givors se cache là, sur la commune de Tartaras, en contre-bas de l’ancienne route en direction de Lyon, juste en dessous d’un parking refait il y a une dizaine d’années et déjà bien cabossé. C’est le site du Rocher percé, car c’est ici que les ouvriers en charge du tracé de la voie d’eau ont creusé un tunnel plutôt que contourner la falaise.

L’histoire débute à l’époque du roi Louis XV. Au XVIIIe siècle, le charbon est déjà exploité du côté de Rive-de-Gier mais les entrepreneurs souffrent de l’enclavement de la région : très difficile d’acheminer le précieux combustible vers Lyon, ou pire, en direction de Paris. Le transport se fait donc à dos de mulet, lentement et par petites quantités. L’idée germe de relier les deux grands fleuves : le Rhône et la Loire. Barthélémy Alléon de Varcourt en a le premier l’idée et présente un projet en 1749. Rejeté. Quelques années plus tard, François Zacharie propose le sien. Il a longuement étudié le paysage, le parcours, le relief, les villes.

Il propose de creuser un canal en partant de Givors et qui remonte la vallée du Gier, puis la vallée du Janon, les environs de Saint-Étienne et enfin Andrézieux-Bouthéon et la Loire. Saint-Étienne, petite ville qui commence à grandir se montre défavorable : le futur canal détournerait les chemins de transport de marchandises hors la ville, à coup sûr un mauvais coup pour son économie. Or, c’est grâce au passage de la route Lyon-Toulouse dans les murs de la cité que celle-ci a grandi et prospéré.

À l’opposé, Paris et Lyon se montrent intéressés. Les Lyonnais sont favorables uniquement au tronçon Givors-Rive-de-Gier qui permettrait à l’ancienne capitale des Gaules d’être bien approvisionné en charbon. Paris, par contre, pousse à l’aménagement complet du canal car pour recevoir le charbon du Gier, il faut que l’accès à la Loire soit réalisé.

Le projet de François Zacharie

Le gouvernement autorise les travaux en 1760 et confie la concession à Zacharie l’année suivante pour une durée de 40 ans. Le chantier concerne la portion jusqu'à Rive-de-Gier, considéré comme le premier tronçon d'un parcours qui rejoindra la Loire. François Zacharie meurt en 1868 alors que les travaux ont commencé depuis plus de sept ans. Sa mort arrête le projet, qui semble largement compromis. Son fils aîné, Guillaume prend finalement sa suite en 1770 et l'État lui concède la concession rallongée de 20 an par rapport à celle de son père. Les travaux coûtent chers et ils sont longs, très longs. L'entreprise est en difficulté financière, à deux doigts de s'arrêter en 1879. L'Etat intervient et porte la concession à 99 ans : un intervalle suffisant pour que la société amortisse ses dettes. Le canal de Givors à Rive-de-Gier est alors bien vite terminé en 1780 et en décembre, il est ouvert à la navigation.

Photo Delcampe

Photo Delcampe

Photo Delcampe

Photo Delcampe

Le Canal a Rive-de-Gier. Photo Delcampe

Le Canal a Rive-de-Gier. Photo Delcampe

Le Rocher percé
et les autres aménagements

Photo Delcampe

Photo Delcampe

À hauteur de Tartaras, village situé le plus haut sur le plateau, la vallée du Gier est assez étroite et faire passer le canal par là le rend trop dépendant des crues. Alors, les ingénieurs de Zacharie décident de ne pas contourner la falaise mais de passer dessous. Ils vont ainsi imaginer un tunnel à travers le rocher (percé pour l'occasion) de 166 mètres de long. À l'intérieur, une chaîne est scellée dans le mur afin de permettre aux margoulins, les hommes qui tirent les bateaux, de continuer à faire avancer les embarcations. À la sortie, les écluses numérotées 19 et 20 permettent de rattraper la dénivellation descendante en direction de Givors.

Le tunnel, la maison éclusière et la double écluse sont inscrits au titre des Monuments historiques en 1994. Des travaux d'aménagement et de mise en valeur touristique sont réalisés à la fin des années 2000.

La Compagnie du canal fait construire pendant la Révolution son siège social à Rive-de-Gier. Bureaux et logement de certains employés se trouvent là. En 1841, la municipalité propose de racheter le bâtiment à la compagnie, alors en difficulté. L'affaire de ne réalise pas. Elle fera finalement affaire en 1891 et la Ville de Rive-de-Gier en fait sa mairie l'année suivante. L'Hôtel du Canal est devenu l'hôtel de ville.

L'occasion loupée de joindre le Rhône à la Loire

Le canal est très utilisé dès son ouverture mais des problèmes apparaissent. Le Gier souffre d'un débit irrégulier et notamment insuffisant parfois en période de sécheresse. La solution est coûteuse : construire un vaste réservoir d'eau. L'entreprise du Canal propose de financer les travaux en échange de la pleine propriété. Le gouvernement de Louis XVI accepte en décembre 1788. C'est ainsi que le barrage du Couzon est construit.  Les travaux débutent en 1789 et ils seront longs puisque que le barrage est inauguré par le Comte d'Artois, le futur Charles X, en... 1814 ! Le barrage fait 32 mètres de haut et crée une étendue d'eau de 13 hectares. L'étanchéité est constituée d'un « mur écran » entouré par deux massifs de terre dont l'épaisseur totale atteint les 118 mètres à la base. Une prise d'eau en galerie permet d'alimenter le canal. Le barrage du Couzon s'inspire de celui de Saint-Ferréol, construit au siècle précédent et qui alimente le canal du Midi.

La construction du barrage du Couzon apparaît comme une solution qui apporte une bouffée d'oxygène au canal de Givors. Cela va en fait obérer son avenir à long terme. L'aménagement de Couzon rend impossible, faute de capacité financière, la construction d'un réservoir d'eau du côté de Saint-Étienne. Or celui-ci était nécessaire pour aménager et faire fonctionner la jonction à la Loire. De toute manière, la Compagnie aurait-elle pu venir à bout de ce projet pharaonique ? 40 écluses ont été nécessaire pour relier Givors (170 mètres d'altitude) à Rive-de-Gier (252 mètres). Combien en aurait-il fallu pour atteindre Saint-Chamond (363 mètres) et pire, Saint-Etienne situé à plus de 500 mètres avant de redescendre à Andrézieux-Bouthéon ? Sans parler des besoins énormes en eau. C'est ainsi que le canal de Givors ne reliera jamais les deux fleuves et son utilité amoindrie à l'heure du chemin de fer...

La Révolution et ses événements causent quelques soucis avec une absence de police des eaux et de la circulation. Malgré cela, le canal est utilisé et une gare d'eau de 260 mètres de long sur 180 mètres de large est aménagée à Givors. 300 bateaux peuvent y stationner. C'est sous la Restauration (1815-1830) que le canal de Givors connaît son apogée : 2 000 bateaux y circulent chaque année. Ils expédient le charbon sur Lyon et amènent principalement le sable du Rhône pour les verreries de la vallée.

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

Photo DR

L'apparition du chemin de fer

L'activité est florissante et fait les affaires des actionnaires. Pourtant, le concurrent qui causera sa perte, apparaît à ce moment-là : le chemin de fer. Beaunier ouvre la première ligne de Saint-Étienne à Andrézieux en 1827 puis en direction de Lyon en 1830. Dès cette année là, une partie du transport du charbon se reporte sur le train. Le canal de Givors perd près de 60% de ses recettes entre 1830 et 1832. La direction décide de baisser ses tarifs et de prolonger le canal jusqu'à La Grand-Croix. Les travaux ont lieux entre 1834 et 1838. Le trafic retrouve un peu de vigueur mais des problèmes surviennent peu d'années après : des fuites d'eau à cause de l'exploitation minière en sous-sol, les crues du Gier qui abîment l'ouvrage.

En 1841, la Compagnie du canal signe un accord, plutôt défavorable pour elle, avec la Compagnie du chemin de fer qui répartit le trafic : 70 % pour le train, 30 % pour les bateaux. Le déclin du canal de Givors se poursuit. L'entreprise est reprise par la Compagnie générale des mines de la Loire en 1845 puis par la Compagnie des mines de Rive-de-Gier en 1854. Celle-ci n'entretient plus l'ouvrage malgré la persistance de la navigation notamment pour amener du sable pour les verreries. La navigation s'arrête officiellement en 1878, même pas 100 ans après l'ouverture du canal de Givors. La fin d'une aventure qui aurait pu être belle, longue et prospère...