Meurtre
de Montréal-la-Cluse :
15 ans après, Mamadou Diallo condamné à 16 ans de réclusion criminelle
19 décembre 2008. Catherine Burgod-Arduini, la postière de Montréal-la-Cluse, âgée de 41 ans, mère de deux enfants et enceinte de cinq mois et demi, était assassinée de 28 coups de couteau
Le 19 décembre 2008, vers 9 heures, deux clients poussent tour à tour la porte de l’agence communale postale et SNCF, l’ébéniste du haut du village et la secrétaire du médecin. L’agence est ouverte depuis une demi-heure, mais la petite pièce carrée est vide. Lui, qui vient chercher un colis, se racle la gorge pour attirer l’attention de la postière. Sans doute est-elle dans la pièce du fond, aménagée en cuisine ? C’est aussi là que se trouve le coffre-fort.
Les deux clients patientent puis s’inquiètent. Comme tout le monde dans le « vieux » Montréal, ils connaissent bien Cathy, la postière, c’est une enfant du village. Elle est enceinte de cinq mois. Peut-être a-t-elle eu un malaise ?
Quand il pousse la porte du coin cuisine, l’ébéniste est horrifié. Cathy git à terre, entre l’évier et le coffre ouvert. Le sol et les murs sont maculés de sang. Cette femme de 41 ans a reçu une trentaine de coups de couteau, portés avec une grande violence dira le médecin légiste.
La petite place tranquille du Pont Buisson, avec sa fontaine encore entourée de neige, vient de plonger dans l'horreur. Elle est investie par les gendarmes et des techniciens en investigation criminelle.
"Ils m'ont annoncé : ta fille est morte"
"Les gendarmes étaient comme dans les films,
en combinaison blanche"
Au même moment, un crime en tous points identiques est découvert à Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie), à moins d’une heure de route de Montréal-la-Cluse. Une commerçante a été retrouvée égorgée. Un tueur en série est peut-être dans la nature. Paris dépêche sur place ses experts du Groupe d’analyse comportementale, des « profilers ». Hypothèse finalement écartée car les deux crimes ont eu lieu quasiment en même temps.
Pendant des jours, les gendarmes exploitent toutes les pistes pour retrouver le meurtrier de Catherine Burgod-Arduini. Du crime passionnel au crime crapuleux. Plusieurs milliers d’euros ont été volés dans le coffre. Mais comment un simple braquage s’est-il transformé en une véritable exécution ?
Un village sous le choc
Les gendarmes cherchent tout autant le rodeur de passage, exploitant le signalement de voitures suspectes, qu’un familier, un habitant du pays. Plusieurs traces ADN exploitables sont mises à profit. « Un jour, les gendarmes sont venus chez moi et ils m’ont demandé de venir à la gendarmerie pour faire un prélèvement afin de faire une comparaison de mon ADN. Mon voisin aussi d’ailleurs, se souvient un retraité, habitant d’une cité HLM. C’est parce que j’avais téléphoné au moment du crime, pour passer une commande de nourriture. Aujourd’hui encore je me demande, pourquoi moi ? »
"C'était la petite Cathy"
"On se demandait si le meurtrier était
encore autour de nous ?"
Gérald Thomassin,
coupable idéal ?
Les enquêteurs ne laissent rien au hasard. Des habitants les orientent vers des marginaux de la commune. Notamment Gérald Thomassin. Acteur césarisé en 1991 pour le film « Le Petit criminel », dont le réalisateur avait été le chercher à quinze ans dans un foyer, il mène depuis une existence marginale.
Entre chaque tournage, il taille la route, dort parfois dehors, accro à l’héroïne et à l’alcool. Il multiplie les tentatives de suicide. En 2007, il a débarqué dans le haut Bugey, pour sortir de la dope et se rapprocher de son fils. Son minuscule studio, baptisé « La grotte » par ses copains (photo ci-dessous), car il est à demi enterré avec une fenêtre au ras du trottoir, n’est qu’à une dizaine de mètres de l’agence postale.
Thomassin venait parfois y toucher son RSA. Et son attitude attise les soupçons, notamment du père de la victime, qu’il aborde pour lui dire qu’il n’est pour rien dans cette histoire. Deux habitantes du village le trouvent un jour sur la tombe de la postière. Il leur parle du crime entre deux rasades de bière, leur mime la scène comme il se l’imagine. Il semble obsédé par ce meurtre qui s’est déroulé presque sous ses fenêtres. Il est placé en garde à vue avant d’être libéré, faute d’éléments probants. D’ailleurs, son ADN ne « matche » pas avec ceux prélevés sur la scène de crime.
Pour autant, il restera toujours dans le collimateur des enquêteurs de la section de recherches de Lyon. En 2013, alors que toutes les autres pistes imaginables ont terminé dans une impasse, les gendarmes souhaitent de nouveau l’entendre. La veille de son audition, au milieu de la nuit, l’acteur se saoule et appelle son frère, alors qu’il a été placé sur écoute téléphonique. Au milieu d’une conversation confuse, d’une voix pâteuse, il explique pêle-mêle qu’il « n’est pas coupable » mais qu’il va « avouer ». Il répète une trentaine de fois qu’il l’a tuée.
Le 29 juin 2013, Gérald Thomassin est mis en examen pour meurtre et braquage. Du fond de sa prison, il crie son innocence. Il explique la conversation avec son frère en disant qu’il était à bout d’être traqué, d’être accusé à tort, et que ses proches étaient harcelés pour le mettre en cause.
Les preuves matérielles manquent contre lui. Après presque deux ans de détention, il est libéré sous contrôle judiciaire le 22 mai 2015, avec un bracelet électronique. De son côté, la juge d’instruction ordonne le 1 juillet 2015 son renvoi devant la cour d’assises. Le 14 octobre 2015, Thomassin craque à nouveau et coupe son bracelet électronique. Il est de nouveau incarcéré pour non respect de son contrôle judiciaire.
Le 4 mars 2016, coup de théâtre, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon annule l’ordonnance du juge d’instruction de Bourg-en-Bresse. Une forme de désaveu pour une accusation trop fragile. Les magistrats du second degré de juridiction ordonnent la poursuite de l’information judiciaire mais en la confiant à deux expérimentés juges lyonnais. L’enquête reprend sur de nouvelles bases.
Le 3 juin 2016, Thomassin est de nouveau libéré sous contrôle judiciaire, la durée de sa détention provisoire étant jugée excessive en l’absence de clôture de l’information judiciaire et de renvoi aux assises.
C’est alors qu’un deuxième homme fait son apparition dans le dossier. Un habitant de Montréal-la-Cluse, ancien toxicomane, qui connaissait Thomassin, contacte la gendarmerie après avoir appris dans Le Progrès la libération de l’acteur. Il aurait des « choses à dire ». Convoqué en gendarmerie, il vient puis rebrousse chemin. Trois mois plus tard, placé en garde à vue pour de petits délits, il aurait alors mis en cause, dans une conversation « hors procédure », Thomassin et un de ses amis, surnommé Tintin, mort quelques jours avant. Et lui-même aurait été présent dans la rue le jour du crime selon ses dires rapportés par deux gendarmes. L’homme a des antécédents psychiatriques et ses propos sont pris avec prudence.
Le 23 mars 2017, il nie fermement avoir tenu ces propos, mais il est mis en examen pour complicité de braquage et écroué. Il sera finalement libéré huit mois plus tard, faute d’éléments probants contre lui.
Qui est Mamadou ?
Suspect n°1, acquitté puis condamné
Nouveau rebondissement, en fin d’année 2017. Pour la première fois dans cette affaire, un élément matériel de poids fait son apparition. Un homme a fait l’objet d’une plainte pour le vol et l’utilisation d'une carte bancaire en 2016. Comme c’est le cas pour la majorité des infractions, il fait l’objet d’un prélèvement biologique en gendarmerie. Et son ADN « matche » dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Il correspond à un ADN inconnu trouvé sur la scène de crime, à la fois sur un sac de sport et sur le monnayeur.
Les gendarmes enquêtent discrètement sur lui. C’est un parfait inconnu pour la justice. Mamadou D., 29 ans en 2019, a grandi à Nurieux-Volognat, à quelques kilomètres de Montréal-la-Cluse. Ambulancier de profession, il a toujours travaillé et jouait au football le dimanche dans des clubs locaux. Non seulement il n’a pas le profil d’un meurtrier, mais les enquêteurs ne trouvent pas le moindre lien avec les deux mis en examen.
"J'ai du mal à imaginer que c'est lui"
Placé en garde à vue, fin mai 2018, il explique d’abord qu’il n’est jamais venu à l’agence postale. Puis il raconte qu’il y a dix ans, alors qu’il était en apprentissage dans une entreprise du secteur, il était bien venu sur les lieux pour acheter un billet de train et qu’il avait vu Catherine Burgod-Arduini morte. Il aurait paniqué et serait parti, sans rien dire à personne par peur d’être accusé. Enfin, il avoue qu’il aurait touché le corps de la victime, qu’il aurait pris une liasse de billets et qu’il aurait même emporté le gilet de la victime. Mais selon lui, le crime aurait été commis avant son arrivée.
Les enjeux de la reconstitution
Le 5 mars 2019, le village de Montréal-la-Cluse a vécu le dernier acte judiciaire du dossier. Une reconstitution des faits à laquelle seul Mamadou a pris part (même si les deux autres étaient encore mis en examen), pour tenter de comprendre ce qui s’est passé il y a plus de dix ans.
Le procès
de Mamadou Diallo
Acte I
Le procès du suspect numéro 1, Mamadou Diallo, 33 ans, s'ouvre le lundi 28 mars 2022 dans la cour d'assises de l'Ain. En six jours, une quarantaine de témoins d'experts, d'enquêteurs, défilent à la barre pour tenter de faire la lumière sur ce jour du 19 décembre 2008. L'homme qui a passé 4 ans en détention provisoire, clame d'emblée son innocence. « Cette semaine je vais exprimer ma vérité. »
Sa personnalité est passé au peigne fin. Lui-même se présente, d’un ton très assuré, comme « un jeune homme gentil, attentionné », qui se rêvait joueur de foot professionnel. Avec une petite vie bien réglée, des fiançailles et des projets de fonder une famille, jusqu’à son arrestation.
Sa vocation ? « Aider mon prochain. Ça a toujours été en moi ». Une vocation « déclenchée » selon lui par « la peur, le traumatisme, car j’ai fait une erreur en 2008 », relate Mamadou Diallo, en référence à sa découverte du corps de la victime, avant qu’il ne s’empare d’une liasse de billets, selon sa version, puisqu’il nie le meurtre.
« Un homme très discret, apprécié. Il était dans le moule, ne faisait pas de bruit. J’ai été stupéfait d’apprendre son interpellation », a expliqué à la barre son ancien employeur.
« L’appât du gain, je dois avoir un problème
de ce côté-là. »
Mamadou Diallo
Mais du profil lisse de Diallo affleurent aussi quelques aspérités pointées par Me Debourg, l’avocate des parties civiles, et l’avocat général Eric Mazaud : « Il est passé au-dessus d’un cadavre disloqué avant de s’emparer de l’argent. » Mais il a vécu avec et n’en a jamais parlé à personne.
Le 1er avril, l'audition de Diallo dure 3 heures. Effacé jusque là, il se défend avec un aplomb extraordinaire : « C’était un cauchemar quand j’ai su pour le crime. Mais après j’avais honte de n’avoir rien dénoncé et pris l’argent. L’appât du gain, je dois avoir un problème de ce côté-là. Je me sens sali d’être aux assises, que ma famille soit là. »
Du côté des experts, les explications variables peuvent être liées à une anesthésie traumatique », a expliqué le psychiatre François Danet. « Même si ce n’est pas impossible non plus qu’une personne normale commette un crime. »
« Dire maintenant que ses [le parquet] arguments sont nuls, c'est désavouer
ses collègues. »
Me Noachovitch, avocate de la défense
Son avocate, Me Noachovitch plaide depuis le début l'innocence de son client et dénonce une possible erreur judiciaire. Elle fustige d'emblée « le peu d'éléments » de l'avocat général. Avant d'embrayer « évidemment » sur Gérald Thomassin « qui a eu un non-lieu après sa disparition. Ça fait désordre pour la justice. Le parquet a dit jusqu'au bout qu'il le pensait coupable. Dire maintenant que ses arguments sont nuls, c'est désavouer ses collègues. »
L'avocat général lui, rétorque: « On nous dit que Diallo n'a pas le profil mais ce n'est pas que l'ADN qui l'incrimine. Ce sont ses mensonges, ses déclarations qui varient en permanence. » Lui, requiert 30 ans de réclusion criminelle.
4h30 de délibéré
Après 4h30 de délibéré, la cour d'assises de l'Ain a rendu son verdict, lundi 4 avril 2022 : Mamadou Diallo est acquitté « au bénéfice du doute » pour le meurtre de Catherine Burgod mais condamné pour vol simple à deux ans de prison.
Mais nouveau rebondissement, le 12 avril 2022 le procureur général de la coup d'appel de Lyon annonce au Progrès qu'il fait appel du verdict de la cour d'assises de l'Ain. Mamadou Diallo sera à nouveau jugé.
Acte II : Diallo rejugé en appel... et condamné
Acquitté en 2022, Mamadou Diallo a été rejugé depuis ce jeudi 12 octobre 2023 par la cour d'assises du Rhône. A nouveau, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Mais cette fois, il comparaît libre.
Âgé de 34 ans, il a retrouvé du travail comme brancardier dans une clinique lyonnaise.
Au premier jour du procès, l'avocat général Eric Mazaud, le nouvel avocat des parties civiles Me Jean-François Barre et le président Chalbost écornent tour à tour la personnalité de Diallo. « Vous vous décrivez comme empathique, soucieux des autres. Vous n’avez pas eu la volonté de soulager toute une famille, tout un village, avec cette vérité ? », fustige le représentant du parquet.
Sans cesse durant le procès, la même question s'est posée : pourquoi Mamadou Diallo n'a pas donné l'alerte ? « Ma plus grande peur, c’était d’être accusé à tort. C’est ce que je vis aujourd’hui. Je ne dis pas que c’était facile à vivre, mais j’ai réussi. Aujourd’hui, je m’en veux », rétorque l’accusé
Des premiers échanges qui annoncent la couleur. Le procès en appel ne ressemblera pas à celui de Bourg-en-Bresse où il avait fallu attendre le cinquième jour pour que les échanges entre les parties se durcissent réellement.
« Il disait tout et son contraire »
Gilles Ferrard, gendarme
Une scène de crime, un ADN retrouvé, encore des zones d'ombre
La projection des images a permis d’appréhender l’horreur de la scène. Un gendarme l’a filmée de façon tremblante. Une flaque de sang glaçante, et le corps de cette femme de 41 ans, enceinte, comme un pantin désarticulé, coincé entre l’évier et le coffre-fort.
Selon un gendarme entendu à la barre : la présence de l’ADN de Diallo, mélangé au sang de la victime, ne peut résulter d’un simple « contact » avec le corps. Pour qu’il soit « décelable », il faut une grande quantité de cellules, et, donc, « il a dû se couper avec le couteau », estime le militaire, diplômé en matière génétique.
Diallo, lui, livre une foule de détails sur cette journée et le lieu des faits mais a du mal à expliquer comment son ADN, mélangé au sang de la postière, s’est retrouvé sur le cordon et le stoppeur d’un sac en toile et sur le monnayeur où il affirme avoir volé 400 euros laissés par le meurtrier.
La présence de l'ADN sur un sac et le monnayeur, les raisons qui ont poussé Mamadou Diallo à s'enfuir, une version des faits évolutive, les multiples auditions ont surtout montré « qu'il disait tout et son contraire. Quand on le questionnait, c’était non, oui, peut-être », se souvient le gendarme Gilles Ferrard.
Diallo « a beaucoup menti pour une version minimaliste, un vol simple de 400 euros, et il s’est constamment adapté sur certains détails. Tout en refusant de donner une précision essentielle : pourquoi avait-il du sang sur les mains ? », conclut Eric Mazaud, l'avocat général qui requiert 30 ans de réclusion criminelle.
« Ses oublis en garde à vue, ses variations s’expliquent par le choc traumatique » martèle Me Noachovitch avant le verdict, le 19 octobre.
Le verdict
Après un délibéré de 3h30, la justice a condamné Mamadou Diallo à 16 ans de réclusion criminelle ce jeudi 19 octobre 2023. L'incompréhension surgit de la part du principal intéressé et de sa famille. Pour son avocate, le couperet est clair : « La justice a peur du vide au point qu’on veut une tête pour consoler les victimes. »
Un ultime volet ?
La condamnation n’est pas encore définitive. « Mon client va former un pourvoi en cassation, sachant qu’il y a des vices de procédure dans ce dossier. Et nous irons jusqu’au bout », annonce Me Noachovitch, l'avocate de la défense.
La cour de cassation ne peut se prononcer que sur une erreur de droit, d’application de la loi durant la tenue du procès, pas sur le fond de l’affaire. Si l’arrêt était cassé, l’affaire serait rejugée par une autre cour d’assises.