Dans les coulisses
d'ASSE-KIEv 1976

Le plus bel exploit de l'ASSE ? Probablement le 17 mars 1976. Les Stéphanois remontent leur défaite du match aller (0-2) au cours d'un match d'anthologie.

Gérard Janvion est aux fraises et Christian Lopez n’est guère mieux. Blokhine les a enrhumés et file seul vers le but d’Yvan Curkovic. 40 000 spectateurs retiennent leur souffle lors de cette 64e, le Dynamo est sur le point de marquer…

Retour sur les coulisses de l'exploit (3-0).

3 mars 1976

A Simféropol, lieu du match aller, Kiev étant sous les frimas soviétiques, les Stéphanois ont pris une leçon de football. Mais une leçon bien payée et dont l’addition aurait pu être bien plus lourde : 2-0. Toute l’équipe est passée à travers sauf Curkovic qui avouera qu’il n’a pas rencontré dans sa carrière une équipe « aussi forte ». Les Ukrainiens apparaissent bien supérieurs et il est dommage pour eux de n’avoir pas plus creusé l’écart…

Etonnamment, les joueurs stéphanois font preuve d’optimisme. Pierre Garonnaire nuance la déroute en précisant que « nous avions devant nous une équipe qui a réalisé une excellente performance. Je pense que le 17 mars, tous les espoirs sont permis ». Oswaldo Piazza, lui a « quand même confiance pour le retour » tandis que Dominique Bathenay pense qu’ « on peut réussir, je pense, un beau résultat au match retour et renverser la vapeur ».

Piazza restait confiant. Photo d'archives Progrès

Piazza restait confiant. Photo d'archives Progrès

Christian Lopez a souffert en défense. Photo d'archives Progrès

Christian Lopez a souffert en défense. Photo d'archives Progrès

Dominique Rocheteau a tout tenté pour remettre son équipe à flot. Photo d'archives Progrès

Dominique Rocheteau a tout tenté pour remettre son équipe à flot. Photo d'archives Progrès

11 mars 1976

En championnat, tout va bien, l’ASSE mène la danse avec deux points d’avance sur Nantes et Sochaux, et trois sur Reims et Nice. Nice justement, est l’adversaire du jour. Les Stéphanois s’en sortent bien avec un penalty non sifflé en fin de match sur une main –volontaire ou pas- de Lopez. Les Niçois sont furieux après l’arbitre Marcel Wurtz mais, dans le jeu, les Verts se sont rassurés car les Aiglons ne sont pas n’importe qui et les observateurs ont assisté au meilleur match depuis celui contre les Rangers en Coupe d’Europe.

Robert Herbin pense déjà au match retour face aux Soviétiques. Photo d'archives Progrès

Robert Herbin pense déjà au match retour face aux Soviétiques. Photo d'archives Progrès

Ce qui est embêtant par contre, c’est la liste des blessés : Dominique Rocheteau souffre d’un hématome au mollet gauche, Jean-Michel Larqué est touché à celui de droite, Christian Sarramagna a reçu une petite béquille et Gérard Farison un coup sur la cheville… Inquiétant face au défi physique qu’il faudra opposer aux onze Soviétiques.

15 mars 1976

Anniversaires de trois joueurs : Ivan Curkovic (32 ans), Christian Lopez (23 ans) et Gérard Farison (32 ans). Des bookmakers lyonnais ont placé la cote du match à un contre un. Flatteur pour les Stéphanois. Un des parieurs explique : « Je voudrais rencontrer Curkovic et le féliciter. Sans lui, on ne pouvait pas prendre les paris. Au-delà de 2-0, c’était impossible ».

Curko, ça tombe bien donne son avis, non pas sur les paris mais sur le match à venir : « Les Soviétiques vont trouver au stade Geoffroy-Guichard une atmosphère étrange. Ils sont habitués aux grands matchs certes, mais ont-ils joué dans une ambiance aussi chaude et serrée ? En URSS, il n’y a que des stades avec des pistes et des tribunes rarement couvertes. Les clameurs se dispersent et n’influencent pas les joueurs ».

Ivan Curkovic comptait sur la ferveur de Geoffroy-Guichard pour renverser la tendance. Photo d'archives Progrès

Ivan Curkovic comptait sur la ferveur de Geoffroy-Guichard pour renverser la tendance. Photo d'archives Progrès

30 kilos de lentilles
pour les Soviétiques

Les Ukrainiens sont arrivés à 14h30 après avoir joué un match amical contre la Tchécoslovaquie (2-2), future finaliste de l’Euro 76 trois mois plus tard. Ils partent s’entraîner à Geoffroy-Guichard pour 19heures. Les adversaires redoutés logent à l’hôtel Astoria, du côté du cours Fauriel, qui fait flotter le drapeau soviétique pour l’occasion.

Un seul journaliste accompagne la délégation et par chance, il parle français et traduit les commentaires de l’entraîneur Lobanovski après l’entraînement : « La pelouse est bonne mais un peu lourde. L’éclairage est excellent. Nous devrions faire du bon travail ».

Ils reçoivent un cadeau un peu particulier : 30 kilos de lentilles vertes ! Un Stéphanois a rencontré quatre ingénieurs soviétiques qui avaient particulièrement aimé les saucisses-lentilles dans un restaurant de la ville.

L'inquiétude au sujet
de rocheteau

La pression monte, les joueurs stéphanois sont conscients du défi auquel ils vont devoir faire face. Ils s’entraînent à huis-clos au stade malgré quelques acrobates qui ont grimpé par-dessus les murs d’enceinte. Ceux-ci ont remarqué l’absence de Rocheteau… L’entraineur Robert Herbin fait le 15e homme pour animer les rencontres entre les trois équipes de cinq joueurs. Sur le petit terrain synthétique, Robert Philippe entraîne les deux gardiens, Curkovic et Esad Dugalic, qui plongent à tour de rôle.

Dominique Rocheteau n'est pas sur de participer au match retour. Photo d'archives Progrès

Dominique Rocheteau n'est pas sur de participer au match retour. Photo d'archives Progrès

Rocheteau est en effet à l’infirmerie et bien pessimiste : « La douleur est toujours vive. Si ça ne s’améliore pas d’ici mercredi matin, il est bien évident que je serai obligé de déclarer forfait la mort dans l’âme. Pour un match de cette importance, je ne veux quand même pas jouer d’une seule jambe. Sans préparation, ce délai de 48 heures me parait bien court ». Le docteur Poty n’infirme pas l’inquiétude du joueur : « On ne peut pas savoir quand l’hématome sera résorbé. Je suis très réservé. La participation de Dominique reste très incertaine ».

16 mars 1976

Les Soviétiques viennent s’entraîner à deux reprises à Geoffroy-Guichard, le matin à 8h15 puis à 12h30.

France Inter s’est déplacé. Jacques Vendroux, Pierre Loctin et Fabrice Baledent animent un magazine spécial sur l’ASSE et la ville à 19h30. La France entière, en attendant de regarder, pointe ses oreilles du côté de Saint-Etienne.

Sarramagna s’interroge pour le lendemain. « J’ai longuement regardé comment jouait Trochkine qui devrait être mon garde du corps. Il n’est pas le plus méchant, ni le plus facile à tromper. Il doit bien y avoir un moyen… 

17 mars 1976,
à saint-étienne

en ville

Le match est l’occasion d’organiser un grand événement médiatique. Europe 1 a mis le paquet. La station de radio diffuse ses émissions en direct de Saint-Etienne. Denise Fabre anime de 9h15 à 11h « L’Emission sourire » en direct de Manufrance et aborde l’histoire des armes, des cycles, des machines à coudre chers à l’entreprise fondée par Etienne Mimard.

Christian Morin enchaine ensuite de 11h à 12h depuis l’Office d’accueil avec son jeu « Pile ou face ». Suit « 20 millions cash » à la salle des Mutilés : quatre bonnes réponses et 20 000 francs dans la poche pour le gagnant.

Danièle Gilbert prend la suite depuis l’Office d’accueil à 14h. Enfin, le clou du spectacle est programmé à 16h30 où une belle équipe de onze (comme les onze footballeurs) artistes vont chanter au Palais des spectacles au cours de l’émission « Tout peut arriver » : Dalida, Joe Dassin, Daniel Guichard, Julien Clerc, Sacha Distel, Nicolas Peyrac, Alain Barrière, Martin-Circus, Gérard Lenorman, Guy Bedos et Il était une fois. Une grosse armada qui jouera comme les sportifs à guichet fermé.

France Inter continue sa couverture médiatique avec, depuis le matin, une émission spéciale ponctuée de flashs spéciaux sur le match et les joueurs.

Jean-Michel Larqué au micro d'Europe 1. Photo d'archives Progrès

Jean-Michel Larqué au micro d'Europe 1. Photo d'archives Progrès

Les officiels soviétiques sont arrivés la veille et sont reçus à la mairie par le premier adjoint François Dubanchet. Celui-ci « souhaite que cette rencontre soit l’occasion d’un contact plus étroit entre habitants de Kiev et Saint-Etienne. C’est en se connaissant mieux que l’on s’apprécie davantage ». Le président Roger Rocher, de son côté, offre une lampe de mineur et des cravates fabriquées localement.

Les joueurs de l'ASSE à l'écoute du tirage des demis-finales de la Coupe d'Europe des clubs champions à la radio. Photo d'archives Progrès

Les joueurs de l'ASSE à l'écoute du tirage des demis-finales de la Coupe d'Europe des clubs champions à la radio. Photo d'archives Progrès

AU STADE

17 mars, jour du match le plus important de l’histoire du club. C’est confirmé, Sarramagna sera bien titulaire pour la première fois en Coupe d’Europe. Il revient de loin, blessé et opéré en début de saison, il n’avait quasiment pas joué (seulement contre Juvisy et Montferrand…) jusqu’à 15 jours auparavant.

Il jouera car Herbin veut évoluer avec deux ailiers de débordement : lui, à gauche, et Rocheteau à droite. Sarramagna a montré à Nice qu’il est toujours une machine à centrer et a gagné sa place. De l’avis de tous, il faudra un exploit plus grand que celui contre le Bayern en 1969 ou Split la saison précédente. Kiev, c’est autre chose et le favori de la coupe d’Europe.

Outre leurs qualités physiques et techniques, les Soviétiques possèdent une grande force mentale et le public risque de ne pas les perturber… Pour les Stéphanois il faudra imposer un engagement de grande intensité mais justement, pourront-ils tenir le rythme qu’ils veulent engager ? Rocheteau ne va-t-il pas se blesser au bout d’une demi-heure ? Le piège est de se précipiter. Au contraire, il faudra d’abord préserver le but de Curko, le match peut se gagner dans la dernière demi-heure.

Le public retient son souffle à chaque fois que Dominique Rocheteau est au sol. Photo d'archives Progrès

Le public retient son souffle à chaque fois que Dominique Rocheteau est au sol. Photo d'archives Progrès

MErci Blokhine !

Il est aux alentours de 21h50 et Blokhine part à toutes enjambées vers le but de Curkovic. C’est foutu, les Ukrainiens vont planter le troisième but quand… Lopez revient des fraises à toute vitesse, Blokhine l’a vu et, gourmand, alors qu’Onitchenko démarqué attend le ballon, entend le dribbler, l’humilier peut-être une dernière fois. Il n’aurait pas dû. Le défenseur moustachu le contre et dégage en catastrophe sur Piazza qui remet à Patrick Revelli. Celui-ci passe à son frère Hervé. But de Sainté. C’est un miracle, les Verts attaquaient de manière stérile depuis plus d’une heure et ouvrent le score au moment même où l’élimination allait être actée. Incroyable.

Hervé Revelli met les Verts sur de bons rails. Photo d'archives Progrès

Hervé Revelli met les Verts sur de bons rails. Photo d'archives Progrès

Qualification à la 113e minute

La suite ? Un coup franc de Larqué (2-0) pour jouer la prolongation. Les Verts sont épuisés et plusieurs souffrent de crampes. Attaque stéphanoise. Encore une à la 113e. Patrick Revelli déborde à droite, le ballon, poussé trop loin va sortir,… non, il redresse et centre pour Rocheteau. But de Rocheteau, but pour Saint-Etienne. Les Verts sont qualifiés pour la demi-finale de la Coupe d’Europe des clubs champions 1976. Où vont-ils s'arrêter ?