Hiver 1948: vent de colère dans les mines de la Loire

En octobre et novembre 1948, les mineurs de la Loire étaient en grève. Face aux forces de l’ordre, celle-ci fut violente, longue et douloureuse.

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 397

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 397

Sorti dévasté de la guerre, le pays est, en 1948, en pleine reconstruction. La « Bataille de la production », dans laquelle la mine et les mineurs ont une place importante (la « bataille du charbon ») est menée puis la Libération et les besoins sont énormes pour être indépendant économiquement.

La production de charbon est nationalisée par la loi du 17 mai 1946 qui crée les Charbonnages de France et les Houillères de bassin. Les Houillères du bassin de la Loire sont divisées en 4 groupes : Firminy, La Ricamarie, Saint-Étienne Ouest et Saint-Étienne Est. Les syndicats approuvent la nationalisation et appellent à la production. Le mineur devient le héros national, indispensable à la reconstruction du pays. Le décret du statut du mineur est publié le 14 juin 1946, et entend compenser la pénibilité et la dangerosité du métier par des contreparties sociales et matérielles : avantages en nature (logement, ou indemnité, attribution de combustible), sécurité sociale du mineur (gratuité des soins), indexation des salaires sur les métallurgistes parisiens.

Malgré cela, le pouvoir d’achat est rogné par l’inflation en 1948. Le mécontentement monte. Déjà des grèves d’envergure ont éclaté en mai, juin, novembre, décembre 1947 puis au printemps 1948. La promulgation des décrets Lacoste, le 18 septembre, va provoquer la grève générale. Ils prévoient la suspension de la garantie des salaires statutaires, celle de la prime à la production avec une politique répressive comme des amendes et des mises à pied. Le statut du mineur est atteint.

8 000 personnes dans la rue

La grève générale éclate le 20 septembre et réunit 7 000 à 8 000 personnes à Saint-Étienne. Le gouvernement demande au super-préfet (préfet du Rhône), Pierre Bertaux, de renforcer ses effectifs : cinq pelotons de gendarmes et escadrons de gardes mobiles arrivent en ville. Au début de la grève, la présence policière est donc déjà importante, plus de 4 000 hommes provenant de plusieurs corps : des militaires de la région des Alpes, vus comme le maillon faible et qui seront plutôt épargnés par les grévistes (« cela pourrait être nos enfants »), des CRS considérés comme des troupes d’élite (dont la CRS 132 de Saint-Étienne qui intervient à Roche-la-Molière), des troupes stationnées en Allemagne et la gendarmerie mobile.

La CGT lance le mot d’ordre pour le débrayage à partir du 4 octobre. La grève est totale dans le bassin de la Loire comme dans tous les autres en France. Les mineurs bloquent les puits et installent les premières barricades. Ils permettent néanmoins la venue des équipes de sécurité, essentiellement pour surveiller les pompes d’exhaure et éviter l’ennoyage des puits. Pas pour longtemps: le 16 octobre, la Fédération nationale du sous-sol décide l’arrêt de l’entretien des galeries pour le 18 octobre. A Saint-Etienne, les couches sont peu profondes et sans pompage, les puits risquent d’être ennoyés en moins de 15 heures ! Le conflit bascule.

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 382

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 382

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 383

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 383

Archives municipales de Saint-Etienne, 5 Fi 407

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 460

Archives municipales de Saint-Etienne, 5 Fi 407

Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 460

À Saint-Étienne

Les Houillères tentent dans un premier temps de négocier et préserver l’outil de travail. La CGT refuse, campe sur ses positions, puis demande aux autorités de réquisitionner des ouvriers. Sauf que le 18, ceux-ci ne peuvent entrer sur les carreaux de mines, empêchés par les grévistes. Il y a urgence.

Le super-préfet Berteaux définit une stratégie de reconquête des puits avec l’armée et les CRS. En priorité, les puits les moins profonds et les plus anciens car inondés le plus rapidement : les puits de l’Est stéphanois, notamment Villiers, Le Treuil, Saint-Louis, Mars et Verpilleux. Puis La Ricamarie (dont Pigeot), Roche-la-Molière et enfin Couriot. Le préfet de la Loire, Roger Moris, est chargé de l’exécution. Les CRS sont chargés de dégager les puits, puis les chasseurs alpins, les militaires du Génie ou l’infanterie occupent les installations. C’est ainsi que le préfet fait occuper dans l’après-midi du 18 octobre les puits les plus menacés, ceux de Saint-Étienne où la reprise en main du puits Villiers déclenche un affrontement boulevard Jules-Janin, le lendemain.

Des échauffourées ont éclaté rue Louis-Soulié, à Saint-Étienne, le 20 octobre 1948. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 378

Des échauffourées ont éclaté rue Louis-Soulié, à Saint-Étienne, le 20 octobre 1948. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 378

Le 20, des échauffourées éclatent rue Louis-Soulié, où les CRS poursuivent les grévistes. Les mineurs, les métallos et les manuchards essaient de reprendre en vain les puits du Treuil et Villiers les 18, 19 et 20 octobre.

À Roche-la-Molière

Le conflit se déplace à l’extérieur. Les forces de l’ordre investissent les puits de Roche-la-Molière dans la matinée du 19 octobre. Vers 10 heures, les grévistes bâtissent une barricade entre les écuries et les bureaux des mines au puits Dolomieu. La troupe charge et poursuit les grévistes jusqu’au puits Derhins (puits de service du puits Dolomieu) et à la cité des Vialles. Certains grévistes poursuivis passent par la cité du Moulin, certains entrent chez les habitants pour s’enfuir par la fenêtre. Les grévistes connaissent les lieux, les policiers non et échouent dans leur poursuite. Pire, quelques mineurs tentent même quelques embuscades comme un garde mobile roué de coups. Le calme revient vers midi. Le couvre-feu est décrété et les CRS patrouillent le soir pour le faire respecter. La journée a été tendue, violente et alimente l’atmosphère qui culminera le 22 octobre.

Les CRS enlèvent une barricade à Roche-la-Molière devant le puits Charles. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 388

Les CRS enlèvent une barricade à Roche-la-Molière devant le puits Charles. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 388

Les CRS occupent le puits Charles le 20 octobre. La reconquête des puits de l’ancienne société des mines de Roche-la-Molière et Firminy se poursuit. Au soir du 20 octobre, la reprise des installations par les autorités semble respectée : l’Est stéphanois et les puits de Roche-la-Molière sont contrôlés.

Le puits Cambefort,
l’épicentre du conflit

Les alentours du puits Cambefort après les affrontements du 22 octobre. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 385

Les alentours du puits Cambefort après les affrontements du 22 octobre. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 385


Le 21 octobre, les ouvriers métallurgistes se mettent en grève et le mouvement est particulièrement suivi dans l’Ondaine qui devient un enjeu pour les forces de l’ordre. Cambefort est devenu un site stratégique donc mais aussi symbolique pour les mineurs qui veulent rester maitre de leur outil de travail, et également pour les policiers qui veulent être plus efficaces qu’à la Béraudière où ils ont préféré se retirer pour ne pas risquer l’effusion de sang.

Les forces de l’ordre s’emparent du puits facilement le 21, à 8h30. Dans la matinée, grévistes mineurs et métallurgistes se rassemblent autour de la colline. Deux assauts violents (un garde républicain est défiguré) sont menés sans succès. Dans l’après-midi, des grévistes arrêtent le pompage des eaux en passant par les fendues Berret et des Platanes. La situation se tend de plus en plus. Aux mineurs se joignent les ouvriers de Claudinon, d’usines de boulons, de Verdié, Holtzer et des forains de la vogue des Noix. Une autre offensive est tentée vers 16h30 tandis qu’à Firminy, un gréviste sur son side-car appelle la foule à se rassembler autour de Cambefort. La nuit est calme, le lendemain sera tragique...

Les grévistes au moment des affrontements à proximité du puits Cambefort. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 434

Les grévistes au moment des affrontements à proximité du puits Cambefort. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 434

Le 22 octobre 1948

Une première échauffourée éclate sans grande conséquence le matin. La situation bascule au cours de l’après-midi. Il est 14h30 quand les grévistes se rassemblent aux Trois-Ponts (200 personnes), à la Malafolie, au puits Monterrad (200 personnes) et à la Bargette. 300 à 400 personnes, vraisemblablement non armées, donnent un nouvel assaut. Les gardes mobiles ripostent. A 15h50, la sirène de la bourse du travail de Firminy invite les ouvriers d’Holtzer à se joindre à l’assaut. Les forces de l’ordre sont débordées et demandent une trêve. Accordée, celle-ci leur permet de réceptionner des caisses de munitions à l’insu des grévistes. Les combats reprennent jusqu’à 16h30. 11 blessés sont relevés côté autorités et 30 côtés grévistes, tous emmenés à l’hôpital de Fiminy. Surtout, on relève un mort, Antonin Barbier, et un blessé grave qui décède deux jours plus tard, Marcel Goïo.

Antonin Barbier a 44 ans et est mineur au puits Flottard au Chambon-Feugerolles. Ce n’est pas un syndicaliste militant. Il ne fait pas partie des grévistes qui partent à l’assaut du puits Cambefort car, atteint gravement de silicose, il ne peut ni se battre ni courir. Lors de l’attaque du puits, aucun gréviste n’est touché en première ligne. Barbier est probablement atteint par une balle tirée en l’air et descendante loin à 500 mètres, au bord du chemin à côté du café Chamblas. La mort est due à la malchance.

Un mineur blessé. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 384

Un mineur blessé. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 384

Le puits est resté inaccessible, les grévistes ont échoué et leur défaite est scellée. Le 27 octobre, les puits Pigeot et de Villaine à la Ricamarie sont repris. Le 29 octobre, les grévistes n’occupent plus d’installation. C’est la fin du conflit violent.

Les affrontements au Puits Dolomieu le 19 octobre 1948. Archives municipales de Saint-Etienne, 5 Fi 403

Le meeting des mineurs à Firminy après la journée tragique du 22 octobre. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 388

Les affrontements au Puits Dolomieu le 19 octobre 1948. Archives municipales de Saint-Etienne, 5 Fi 403

Le meeting des mineurs à Firminy après la journée tragique du 22 octobre. Archives municipales de Saint-Étienne, 5 Fi 388

La fin de la grève

À Saint-Étienne, le puits Couriot est repris le 29 octobre, à 4 heures, de manière rapide et non violente. Les grévistes sont lassés et les forces de l’ordre avaient coupé l’électricité : les guetteurs ne peuvent donner l’alerte et s’enfuient. Seulement six arrestations, dont deux mineurs, sont à noter. En même temps, les puits Chatelus, Culatte et la centrale thermique de Basse-Ville sont évacués tout aussi facilement.

Si toutes les installations sont contrôlées par le pouvoir à la fin du mois d’octobre, la grève dure un mois de plus jusqu’au 29 novembre. La troupe reste sur place jusqu’à la fin de l’année. La répression va être sévère. Des étrangers sont expulsés, 400 mineurs sont licenciés, dont Joseph Sanguedolce, qui finit là sa carrière de mineur avant de devenir un permanent de la CGT et du Parti communiste. Si le temps a passé et nombre de témoins ont disparu, la grève de 1948, la dernière grève violente et meurtrière, reste encore dans les mémoires.