L'AFFAIRE
CLÉMENT
GUÉRIN

Aux racines du déni (volet 2/3)

Illustration JSL/Sébastien LACOMBRE

Illustration JSL/Sébastien LACOMBRE

Les symptômes de la schizophrénie apparaissent, dans la plupart des cas, à l’adolescence ou dans les premières années de l’âge adulte. » C’est le constat des psychiatres. Clément Guérin n’a pas échappé à la règle.

« Un schizophrène agressif envers autrui, c’est l’exception. L’immense majorité des personnes atteintes sont seulement dangereuses pour elles-mêmes. Elles ont plutôt peur des autres, en sont souvent victimes. » C’est le bilan constant que dresse le personnel soignant et les spécialistes de cette pathologie. Clément Guérin, sur ce plan, est bel et bien une exception.

« La personnalité d’un schizophrène ne se résume pas à sa maladie. » C’est le rappel que font également les professionnels de la médecine confrontés à cette psychose plus répandue qu’on ne l’imagine (600 000 personnes soignées en France, près de 1% de la population concernée selon l’Inserm).

Clément Guérin n’a pas toujours été malade. Retracer son enfance, en interrogeant ses anciens proches, amis ou connaissances, permet de dresser le portrait d’un enfant unique qui a été entouré. Par ses copains, déjà. « Il faisait partie d’une bonne bande, je garde des souvenirs positifs de notre adolescence », rapporte une ancienne camarade de classe. Ado, Clément joue au foot, sort parfois à la Clé des chants, la boîte du coin ; il est « dynamique », « fêtard », « pas spécialement bosseur à l’école »... On l’invite aux anniversaires, il participe aux interclasses des conscrits, festivités particulièrement populaires dans la région. Il commence à fumer des pétards, aussi, assez tôt. L’étang de la Chagne est son terrain de jeu, là où traînent quelques dealers. Ses copains le voient petit à petit changer, « ils ont l’impression qu’il reste perché, pour eux ce n’est pas forcément les signes d’une maladie à l’époque », rapporte un ami de la famille Guérin.

Dans la cour du Complexe du rire - Lyon 1er

Dans la cour du Complexe du rire - Lyon 1er

Clément Guérin en 2014. Photo DR

Clément Guérin en 2012. Photo DR

L'étang de la Chagne où il passe du temps. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Cette famille est bien connue à Romenay. Gabriel, le grand-père paternel de Clément, est agriculteur et une figure locale – il se plait d’ailleurs à claironner qu’il est le plus gros propriétaire terrien de Romenay. Yves, le père, tient l’agence de l’assureur Groupama. Il est aussi sapeur-pompier volontaire à la caserne locale, où il envisage de prendre des responsabilités de chef de centre. Gentil, serviable : voilà les qualificatifs qui reviennent dans la bouche de ceux qui le décrivent. Son épouse Valérie vient de Simandre, village voisin. Fille d’un cadre d’usine, elle a suivi son père lorsqu’il a repris la station-service de Romenay, où elle rencontre Yves et s’installe avec lui. Ensemble, ils tiennent un bureau de tabac pendant une dizaine d’années. Avant que Valérie ne change de voie, pour devenir agent spécialisé des écoles maternelles (Atsem). En charge de la grande section de maternelle, c’est « un rayon de soleil » à l’école, rapportaient des collègues et amies. C’est peu dire qu’elle était appréciée. A sa mort, les nombreux hommages émus et la foule dense présente aux obsèques en témoigneront.

Valérie Guérin. Photo DR

Valérie Guérin. Photo DR

Yves et Valérie élèvent leur unique enfant avec beaucoup d’amour. Clément est choyé. Protégé. Gâté aussi. Des consoles, un scooter, une première voiture à ses 18 ans, une jolie Golf, vite remplacée après un accident.  Le mot « enfant roi » revient parfois pour le décrire. Les exemples de ses premiers écarts de conduite sont assez précis. On nous rapporte par exemple qu’il chipait quelques billets dans la caisse du tabac familial, puis qu’il conduisait ivre… « Un jour, il a renversé quelqu’un, mais son père a payé pour régler l’affaire », rapporte un témoin, ses dires étant confirmés par d’autres habitants. Clément écope, dans ses premières années d’adulte, d’une condamnation pour un délit routier. Il tente une formation de plaquiste-peintre, peu avant sa majorité, mais ne parviendra pas à la concrétiser, abandonnant deux mois avant l’examen. Manque d’assiduité, rapporte son entourage de l’époque. « Ses copains ont alors vraiment tenté de le faire aller mieux, de le sortir de son état inquiétant », expliquent encore d’autres relations du couple Guérin. « Ils l’ont entouré, mais petit à petit le cercle s’est restreint. Il n’était pas réceptif… » Il change même progressivement de fréquentations, traînant davantage avec d’autres jeunes notamment pour fumer.

Gabriel et Yvette Guérin, les grands-parents paternels de Clément. Photo DR

Gabriel et Yvette Guérin, les grands-parents paternels de Clément. Photo DR

A ses 18 ans, il perd son grand-père Gabriel. « Il en était proche, ça l’a perturbé… », rapporte une amie d’enfance. Parallèlement, il montre les premiers signes d’un basculement plus inquiétant. « Un jour, ses parents sont rentrés et ont retrouvé la maison sens dessus-dessous, il avait tout démoli, en pleine crise », se souvient Eric Drapier, son oncle. D’autres amis citent un autre épisode : « De retour d’un repas à l’extérieur, Valérie et Yves l’ont découvert sous la table, caché, expliquant que quelqu’un voulait le tuer… Ils l’ont emmené aux urgences à Mâcon, et après il est allé directement à Sevrey. »

C’est semble-t-il le récit de sa première hospitalisation, qui remonte, selon les rapports d’expertise cités dans l’arrêt de la chambre de l’instruction, à 2013. Elle durera plusieurs mois, avant qu’un suivi à domicile ne se mette en place. Il faudra attendre un peu pour que le diagnostic posé sur son état mental ne filtre en dehors des quatre murs des Guérin. « C’est Valérie qui nous a dit qu’il souffrait de schizophrénie », se souviennent des proches. « Elle en avait gros sur le cœur et lourd sur les épaules, Valérie. »

La mère se confie un peu à l’extérieur. Mais pas le père. « Yves ne voulait pas que ça se sache. Il était dans le déni complet », lâche un Romenayou qui le connaissait bien. « Il était trop fier, il ne pouvait pas supporter. »

Yves lui-même en conviendra, c’est Valérie qui gère administrativement la prise en charge de leur fils. « Quand on le questionnait sur Clément, il répondait toujours qu’il allait bien », affirment différentes connaissances. « Il cachait tout. On en a appris beaucoup après les faits… »

Les faits, c’est le meurtre de Valérie Guérin, qui a bouleversé Romenay en février 2016. Un meurtre au déroulement très intrigant.

La maison de la famille Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La maison de la famille Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La maison de la famille Guérin.
Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Nous avons pu nous procurer plusieurs pièces de la procédure judiciaire. Retraçant le déroulement de cette journée noire, elles nous éclairent sur ce déni de la maladie de Clément qui, même si elle a été clairement exprimée dans les rapports des quatre experts psychiatres chargés d’évaluer sa santé mentale, a pu être appréhendée plus difficilement par son entourage affectif. A commencer par son père.

Le matin du 16 février 2016, Yves part travailler alors que Clément dort encore. C’est le 2e jour des vacances scolaires : Valérie est occupée à des tâches ménagères. Le matin, elle repasse des vêtements au sous-sol. Lorsque Yves revient manger à midi, il ne la voit pas. Clément lui explique alors qu’elle a été appelée à l’école. « C’est urgent. (…) Elle a reçu un coup de fil. » Yves ne s’inquiète pas outre-mesure. Trois steaks avaient été sortis du congélateur pour le repas de midi. Un pour chacun. Yves et Clément mangent le leur.

Yves dira qu’il a tenté d’appeler sa femme plusieurs fois dans l’après-midi depuis son travail. En vain. Mais l’exploitation de la ligne téléphonique de Valérie Guérin ne permettra de retrouver la trace d’aucun appel. Lorsqu’il revient le soir vers 18h15, Valérie n’est toujours pas là, son steak a disparu. Selon Clément, elle est repassée manger avant de retourner à l’école, « elle en avait pour un moment ». Les heures passent, il se fait tard… Yves dira plus tard aux enquêteurs qu’il a alors fait un tour devant l’école, et a vu de la lumière. Puis il appelle une enseignante pour se renseigner sur cette histoire d’école… Elle n’est pas au courant de quoi que ce soit.  Mais cette disparition commence à intriguer, et l’institutrice part faire le tour de l’établissement. Valérie n’y est pas.

Yves Guérin signale la disparition de sa femme à la gendarmerie par un appel, à 0h36. Un couple d’amis rejoint Yves chez lui. Il affirme avoir fait le tour de la propriété, mais pas complètement. Les chaussures, le manteau, le sac à main de Valérie se trouvent dans la maison. Son portable aussi. Yves Guérin dit qu’il n’a pas vérifié au sous-sol. Il est environ 1h30. Ce n’est pas lui qui, le premier, ose aller voir dans le sous-sol.

Mais lorsqu’il se dirige finalement vers le couloir, il revient rapidement vers le couple, les mains sur la tête, répétant « C’est la merde, c’est la merde ! ». Le corps de Valérie est sur une chaise, dans le sous-sol, là où elle repassait. Il est recouvert d’une couverture. Elle a des orifices apparents à la gorge. « Elle s’est suicidée » : c’est ce que profère l’époux, avant de demander à ses amis s’ils peuvent emmener Clément chez eux. Le jeune homme est alors à l’étage, dans sa chambre.

Les constatations au lendemain du crime. Photo d'archives JSL/Gaëtan BOLTOT

Les constatations au lendemain du crime. Photo d'archives JSL/Gaëtan BOLTOT

Les pompiers puis les gendarmes arrivent sur les lieux vers 2 heures, ainsi que la sœur et le frère de Valérie. Lequel désigne verbalement Clément comme le coupable. Ce dernier est maintenant dehors, près de la fenêtre de la cuisine, à fumer des cigarettes, tandis que les enquêteurs gèlent les lieux, relèvent des indices, comme le couteau qui a servi à tuer Valérie Guérin. Vers 4 heures, Yves et Clément sont emmenés par les gendarmes pour être auditionnés. A aucun moment ils ne se sont pris dans les bras, devant témoins, depuis la découverte du drame.

Que savait exactement Yves ? Qu’a-t-il compris et à quel moment, que refusait-il d’admettre, tout au long de cette journée, de cette soirée du 16 février 2016 ? Ces questions ont trotté dans plusieurs têtes.

Le choc du meurtre, sa réalité brutale placent ce père de famille de 50 ans dans un étau émotionnel infernal. Soudainement veuf, il reste père, et responsable de ce fils désormais entre les mains de la justice, puis bientôt de la psychiatrie.

Yves Guérin en 2016. Photo d'archives JSL/Patrick AUDOUARD

Yves Guérin en 2016. Photo d'archives JSL/Patrick AUDOUARD

« C’est un homme qui était seul. Meurtri, coupé en deux, tenant difficilement debout, mais tenant quand même, pour son fils. »

Me Raynaud de Chalonge

L'avocate d'Yves Guérin se souvient d'un client « marqué à double titre. Il devait supporter le deuil de son épouse, mais il fallait qu’il s’occupe de Clément car il n’y avait personne d’autre. De son côté, sa mère était encore là mais très âgée. Et du côté de la famille de Valérie, les ponts ont très vite été coupés. La rupture était profonde. Il s’est retrouvé à devoir tout gérer, et il était à la fois partie civile dans le dossier d’assassinat et à la recherche de solutions pour soutenir son fils. Ce qui est normal. N’importe quel parent peut le comprendre. La question était "Est-ce que je coupe les liens avec mon enfant, ou bien est-ce que malgré l’horreur, malgré le fait que je ne pourrai jamais lui pardonner, je garde un lien avec lui ?". »

Garder un lien. Yves Guérin semble avoir immédiatement choisi cette option… Car dans les jours qui suivent le meurtre, alors que son fils est entendu par les enquêteurs, il demande s’il est possible d’autoriser Clément à assister aux funérailles. Cela n’arrivera pas.

En face, les mots sont parfois durs, accusateurs. Pas seulement dans sa belle-famille, mais parmi d’autres connaissances, autrefois amicales, aujourd’hui refroidies, au sein d’un village divisé. Les tags sur le portail, les courriers anonymes… Yves subit parfois de plein fouet les conséquences du soutien qu’il continue d’apporter à Clément, et du déni qu’il montre depuis tant d’années à l’idée de verbaliser la maladie. L’idée qu’il ait pu découvrir le crime des heures avant la version officielle a fait son chemin dans certains esprits. Son avocate la réfute : « C’est facile de lui jeter la pierre, et humain d’essayer de trouver une explication et une responsabilité. Tant qu’on n’est pas confronté au quotidien à la prise en charge d’un malade psychiatrique… les "tu ferais mieux de… il n’y a qu’à…", c’est facile. Mais la réalité est très compliquée au quotidien. Quand il faut signer en bas d’une feuille pour hospitaliser son fils en psychiatrie… C’est très dur. Alors quand on vous dit que votre fils peut sortir en étant stabilisé… Des personnes souffrant de schizophrénie mais qui ne sont pas dangereuses, il y en a plein ! Ce n’était pas un déni, c’était extrêmement douloureux pour lui. Durant la procédure, l’enjeu pour lui était de savoir où Clément allait être traité. Et comment il allait pouvoir maintenir un lien avec lui. »

Ce lien a été maintenu jusqu’au bout. Y compris lorsque les gendarmes viennent frapper à la porte d’Yves Guérin, un an après le meurtre de sa femme, pour parler de Clément (lire notre 1er volet : « L’affaire Clément Guérin : autopsie d’une récidive »). Sur le coup, le père refuse d’admettre que son fils va à nouveau mal. Mais il rappellera les autorités ensuite, pour confier son désarroi…

Cette question des rapports complexes qu’un parent peut entretenir avec son enfant atteint de schizophrénie connait de très nombreuses illustrations. En Saône-et-Loire toujours, un exemple plutôt récent tiré d’un fait divers tragique vient le montrer. A Saint-Vallier en novembre 2012, Vincent S., un jeune homme de 29 ans, tue son oncle en le rouant de coups. Diagnostiqué schizophrène, il est déclaré irresponsable pénalement et hospitalisé.  Lorsque survient en 2016 le premier crime de Romenay, fortement médiatisé localement, Vincent S. va mieux. Sa mère a contacté Le Journal de Saône-et-Loire : il s’agit de ne pas faire d’amalgame ni de raccourcis, un jeune malade peut vivre et s’en sortir malgré la pathologie. Elle souligne la rédemption de son fils, suivi étroitement en centre spécialisé à Sevrey et qui a pu avancer, comprendre son geste, au point de témoigner à visage découvert dans notre titre : en 2014, il y raconte son parcours, ses addictions aux drogues qui l’ont fait basculer, et son nouvel état d’esprit. « Je connais ma maladie par cœur, je la maîtrise. » Il veut alerter les jeunes, « il faut en parler pour ne plus en avoir peur ».

Mais trois ans plus tard, lorsque Clément Guérin récidive, Vincent S. semble dans un autre état d’esprit. Sa mère contacte à nouveau notre rédaction, pour dépeindre une situation redevenue inquiétante. Son fils n’est plus suivi en centre spécialisé depuis 2017, après trois ans de soins. Il reste soigné mais vit en appartement. « Six mois après sa sortie, ça a dégénéré, raconte-t-elle. Il ne prenait plus ses médicaments et a replongé dans la drogue et l’alcool. (…) Il m’avait juré qu’il ne se droguerait plus. » Elle raconte un accès de violence récent pour exprimer sa « peur » de son fils. Dit son incompréhension face à ce qu’elle estime un manque de suivi, alors que, trois ans plus tôt, elle saluait le travail médical ayant stabilisé son état.

Coupures de presse du 9 octobre 2014 et du 20 avril 2019 - Le Journal de Saône-et-Loire

« La schizophrénie, on ne sait pas ce que c’est. En tout cas moi, je ne savais pas. » Bénédicte Chenu est une autre mère, engagée. Son fils a été diagnostiqué schizophrène vers 17 ans. Un cas comme l’immense majorité, ni agressif ni particulièrement dangereux envers les autres, mais plutôt pour lui-même. Charles s’isolait, ne travaillait plus et, rongé par le stress et l’angoisse, confiait entendre des voix et tenait des propos parfois très obscurs… « Au début, j’étais parfois complètement perdue, se souvient Bénédicte. Mon fils alternait les hospitalisations sous contrainte puis les retours à la maison, en colère contre moi qui avait signé pour l’hospitaliser… Je ne savais pas quoi faire. »

« Les parents devraient être autant aidés que les enfants. Surtout au début, car c’est au début que c’est le plus dangereux. »

Bénédicte Chenu

Bénédicte Chenu s’est investie, énormément. Tout d’abord dans l’amélioration de la vie de son fils, œuvrant à comprendre sa pathologie, à dépasser son inévitable déni initial. Elle a intégré le programme de psychoéducation Pro-famille, où les proches de malades peuvent acquérir des clés pour mieux appréhender ce qu’ils peuvent faire, et s’entraider. « J’ai compris que je ne faisais pas toujours les bonnes choses face aux signes, qu’il fallait lui répondre autrement, comprendre sa réalité à lui. Par exemple, quand il avait des sentiments de persécution : plutôt que de lui répondre que non, personne ne le suivait, et donc de l’énerver, j’ai appris à être dans l’empathie, à lui dire que si cela m’arrivait j’aurais certainement peur aussi, à lui proposer de voir un médecin… A comprendre que lui vivait vraiment tout cela. J’ai appris aussi à mieux interagir avec les psys. Tout cela a apaisé notre relation. »

Puis Bénédicte s’est engagée au sens plus large encore, en intégrant Collectif Schizophrénie, regroupement de sept associations qui travaillent à faire accepter la maladie et en améliorer la prise en charge. « Notre volonté est d’informer le grand public, avec un discours simple, non stigmatisant, parler de la maladie pour ce qu’elle est et non ce qu’elle représente, favoriser les témoignages… » Bénédicte Chenu regrette encore de voir des personnes intervenir visage flouté, dans les reportages évoquant cette pathologie. Elle a écrit un livre, qui encourage cette mise en lumière de la réalité de la schizophrénie.

Comme d’autres parents engagés, elle travaille à faire changer les mentalités et les pratiques en général, pour que des cas particuliers se retrouvent moins démunis. « Le déni, il y en a beaucoup. Depuis que j’ai publié ce livre, j’ai reçu de nombreux appels, et dans les familles un peu bourgeoises notamment, beaucoup de parents ne veulent pas reconnaître la schizophrénie, préfèrent dire que leur enfant a des problèmes de drogue. Je me souviens que j’ai dû me battre contre mon propre déni pour mon fils, en écoutant d’autres parents. Il y a des enfants qui vivent à 40 ans avec leurs parents, la famille s’enferme, ne veut pas voir les choses… Il y a beaucoup de honte, une forme de déni qui entraîne inévitablement un manque de suivi. Et parfois des situations plus graves. Adhérer à une association, s’informer, c’est rompre cela. »

Le centre hospitalier spécialisé de Sevrey, où Clément Guérin a été admis. Photo d'archives JSL

Le centre hospitalier spécialisé de Sevrey, où Clément Guérin a été admis. Photo d'archives JSL

Le discours de cette femme est corroboré en de nombreux points par les psychiatres que nous avons interrogés.

« La schizophrénie apparaît souvent de manière progressive, ce qui peut entraîner un retard dans sa prise en considération ; et parfois l’entourage freine, pense que les médecins se trompent, car c’est difficile d’admettre le diagnostic »

Docteur Boris Chaumette, chercheur à l’Inserm et spécialiste de cette pathologie

« Il est essentiel de travailler avec la famille, mais il faut être subtil. C’est essentiel que la famille puisse être un partenaire dans le processus de soins, tout en préservant l’espace du patient »

Nicole Guidot, responsable de la commission médicale du centre hospitalier de Sevrey

L’acceptation de la maladie, la capacité d’empathie et l’accès aux clés de compréhension de ce que la schizophrénie implique : toute une dimension qui fait parfois défaut dans le parcours de Clément Guérin. Un patient certes hospitalisé très jeune, officiellement diagnostiqué peu après sa majorité. Mais un garçon au sujet duquel bien peu de monde, dans l’entourage affectif, a véritablement accepté d’employer le mot « schizophrénie ». Comme un tabou, si dur à dépasser.

Enquête et texte : Jim GASSMANN
Photos (hors archives) : Ketty BEYONDAS
Infographies et illustrations : Michelle POINCIN et Sébastien LACOMBRE

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Volet 1 : L'affaire Clément Guérin,
autopsie d'une récidive