L'AFFAIRE
CLÉMENT
GUÉRIN

Autopsie d'une récidive
(volet 1/3)

Illustration Sébastien LACOMBRE

Illustration Sébastien LACOMBRE

Un calme olympien, à peine troublé parfois par quelques aboiements. Au 15 de la rue des Hôtelets, tout proche du centre du village de Romenay, ce matin de printemps 2020 est silencieux. Confinement ou pas, le quartier semble respirer une certaine quiétude, à l’image de l’entière commune bressane.  Nichée à l’extrême sud de la Saône-et-Loire, elle compte 1600 habitants, les Romenayous, répartis dans des hameaux épars. La rue des Hôtelets est pavillonnaire : y voisinent des maisons cossues et coquettes, des propriétés arborées parfois gardées par quelques canidés. Celle du numéro 15 est vacante, une végétation dense y gagne du terrain. Devant le garage, une voiture au pneu à plat, comme abandonnée. C’est la propriété de la famille Guérin, tristement figée dans le temps par les scellés judiciaires.

La maison de la famille Guérin, au printemps 2020. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La maison de la famille Guérin, au printemps 2020. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Un an plus tôt, jeudi 18 avril 2019. Le pavillon des Guérin bruit d’une pesante agitation. Théâtre d’un nouveau meurtre, le deuxième en trois ans, il est fouillé de fond en combles par les gendarmes. Indices, armes, documents… tout est recherché. A l’étage, dans son lit, le corps d’Yves Guérin a été découvert dans la matinée. Lardé de plusieurs coups de couteau. L’enquête tout juste ouverte porte sur un double homicide : à une poignée de kilomètres dans un autre hameau du village, Yvette Guérin, la mère d’Yves, a elle aussi succombé à une agression à l'arme blanche. C’est depuis chez elle que l’appel aux forces de l’ordre a été passé : Clément, son petit-fils, le fils d’Yves, a prévenu les autorités lui-même, avant d’être placé en garde à vue. Les doutes sur l’identité du tueur n’ont guère de place. Clément Guérin avait déjà avoué avoir tué sa mère, le mardi 16 février 2016. Alors, pendant que les gendarmes sont à l’ouvrage, à l’intérieur du périmètre de sécurité dressé autour de la maison familiale, les commentaires du voisinage se teintent d’une certaine colère. D’une forme de fatalisme, aussi.

Le quartier où habitait Yvette Guérin complètement bloqué par les gendarmes, au matin des premières investigations.
Photo d'archives JSL/Neal BADACHE

Au lendemain du double meurtre, au sein du village.
Photo d'archives JSL/Gaëtan BOLTOT

« Je vous l’avais pas dit ? Alors ? Je vous l’avais dit, ce qui allait se passer ! » Adossé à sa voiture, près du barrage bleu devant le portail des Guérin, un jeune homme attendait de croiser le regard d’un des gendarmes affairés. Lorsqu’il capte son attention et plante ses yeux dans les siens, ses mots suggèrent le reproche. Comme s’il savait, avant les faits. Il n’est pas le seul. Dans les discussions qui envahiront ce village du sud de la Bresse louhannaise, reviendront souvent ces commentaires outrés. Cette colère de ceux qui percevaient ce drame comme étant à la fois annoncé et évitable. Le village est sous le choc, mais un choc aux facettes multiples : s’y mêlent la tristesse, l’effroi et le ressentiment, profond, chez ceux qui estiment avoir parlé sans être entendus, depuis des semaines.

Infographie JSL/Michelle POINCIN

Infographie JSL/Michelle POINCIN

« Clément est de retour. » Depuis le début de l’année 2019, l’information circulait, de bouche en bouche, dans Romenay. Bien peu l’ont vu face à face, ou même discuté avec lui. Mais plutôt aperçu, au détour d’une route, dans sa voiture… Ou bien ils ont reçu des messages. Clément envoie des textos, régulièrement. « Par salves », détaille l’une des personnes qui en a reçu. « Souvent le soir, voire la nuit. »

Clément a passé l’année 2018 au centre hospitalier spécialisé de Sevrey, sous contrainte. C’est dans cet établissement, siège de la médecine psychiatrique saône-et-loirienne, qu’il a été placé, à l’issue de la déclaration de son irresponsabilité pénale dans le cadre de l’information judiciaire ouverte après l’assassinat de sa mère Valérie.

Extraits de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon rendu le 20 décembre 2017. Au total, deux experts psychiatres puis un collège de deux autres experts psychiatres ont rendu un rapport concernant Clément Guérin. A la lumière de leurs conclusions, la chambre de l'instruction a déclaré le mis en examen irresponsable de ses actes.

Extraits de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon rendu le 20 décembre 2017. Au total, deux experts psychiatres puis un collège de deux autres experts psychiatres ont rendu un rapport concernant Clément Guérin. A la lumière de leurs conclusions, la chambre de l'instruction a déclaré le mis en examen irresponsable de ses actes.

Diagnostiqué schizophrène, « discernement aboli » au moment des faits, Clément Guérin a d’abord été hospitalisé sous contrainte, de manière complète, avant d’intégrer un appartement thérapeutique à Chalon-sur-Saône en décembre 2018. Depuis, il est toujours soigné, mais libre de se déplacer. Et régulièrement, il se rend à Romenay, le village de son enfance. Où lui restent son père, Yves, et sa grand-mère, Yvette.

 « On le voyait passer de temps en temps, raconte un habitant. Il traînait surtout la nuit. Il marchait devant les maisons, et tous les chiens aboyaient. La nouvelle s’est vite répandue qu’il était à nouveau dans les parages. »

Il côtoie son père. Dans la maison familiale, surtout, où Yves mène une vie relativement isolée. Il n’a plus que très peu de lien avec l’essentiel des habitants, et se heurte même à l’hostilité de certains, en témoignent les tags constatés sur le portail de la maison et la devanture de l’agence Groupama qu’il a tenue de nombreuses années. Les courriers anonymes qu’il reçoit, aussi. Ou les discussions parfois houleuses ou amères qu’il a avec certains anciens proches, à qui il en veut d’avoir témoigné lors de l’enquête. « Ça peut arriver d’avoir des petites conversations avec lui sur des sujets futiles… Mais personne ne lui parle vraiment de son fils, le sujet est trop délicat et lui-même ne l’aborde jamais », précise un voisin. Yves et son fils vont parfois manger chez Yvette, la grand-mère. « Clément, je le voyais parfois passer devant ma fenêtre, le midi. Je l’ai aperçu plusieurs fois durant la semaine précédant le crime », relate une amie de cette dernière. « Et je savais qu’elle n’était pas rassurée. »

La maison d'Yvette Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La maison d'Yvette Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Clément ne se contente pas d’errer dans les rues la nuit, il sollicite ses anciennes connaissances. Un de ses amis d’enfance a reçu une vingtaine de SMS, envoyés sur trois jours. Des messages laissant transparaître le retour de son instabilité psychologique. Trahissant le besoin de renouer quelques liens, mais aussi une certaine détresse. D’autres montrent le retour d’une agressivité sous-jacente. Une mère de famille, qui avait été auditionnée durant la première enquête, est destinataire de propos menaçants. D’autres personnes encore rapportent des messages écrits indiquant qu’il est retombé dans la drogue. Le cannabis, qu’il fumait en grande quantité avant son hospitalisation. Ce genre de toxique dont l’effet est connu pour annihiler celui des médicaments qu’on lui administre par injections pour stabiliser son état.

« Les rechutes de patients schizophrènes sont dues, en premier lieu, à l’arrêt du traitement. Car on ne « guérit » pas de la maladie, mais on stabilise l’état du patient. Deuxième cause, la prise de toxiques : le cannabis notamment contient une substance qui se fixe sur les récepteurs cérébraux, modifie la libération de neurotransmetteurs, perturbe la chimie cérébrale et peut redéclencher les symptômes. Ça peut se passer en quelques jours, parfois même dans les heures qui suivent la consommation. »

Dr Boris Chaumette, psychiatre et chercheur à l’Inserm

« Il disait qu’il était en manque, mais qu’il savait comment faire, il retournait aux urgences et on lui donnait du sub (subutex, NDLR). Il expliquait qu’il allait retourner à la "rate" (la prison, NDLR). Il faisait aussi le malin à propos du personnel de Sevrey : selon lui, il savait comment les "gérer", pour qu’ils le "lâchent un peu" »…

Une ancienne connaissance de Clément Guérin

Il envoie aussi quelques messages à une connaissance vivant à Lyon, dans lesquels il tente de se renseigner sur le moyen de se procurer une arme à feu. Et des messages réclamant une arme, il en avait déjà envoyé avant le meurtre de sa mère, à diverses personnes.

« Par exemple, il avait demandé à mon neveu, dont le père faisait du ball-trap, s’il pouvait lui prêter un fusil », se remémore Eric Drapier, frère de Valérie et oncle de Clément. « Un jour, il a dit à mon fils qu’il fallait qu’il lui donne un fusil, parce qu’il devait tuer ses parents », rapporte un autre parent. Il sollicite notamment des connaissances habitant dans des villes abritant des quartiers « chauds », pensant peut-être qu’elles pourraient se procurer une arme plus facilement.

Plusieurs villageois, en discutant, peuvent constater que ces alertes éparses se multiplient. Et qu’il leur faut peut-être agir. Alors, dès le mois de février, soit deux mois et demi avant le double meurtre, certains se rendent à la gendarmerie. « Moi, je savais pas s’il valait mieux aller voir les gendarmes ou Yves. On avait peur qu’Yves nous envoie paître, qu’il nous dise que ça allait très bien, qu’il ne nous croie pas. Que ça ne serve à rien. Alors on a décidé d’aller voir les gendarmes directement », rapporte une Romenayouse.

La gendarmerie de Cuisery.

Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Le 3 février, c’est dans leurs locaux de Louhans que les militaires reçoivent une première visite. Plusieurs gendarmes entendent les craintes de ces habitants. Déjà bien informés sur l’affaire Guérin, ils acquiescent au sujet du caractère inquiétant de ces renseignements. Mais les deux visiteurs sont renvoyés vers la communauté de brigades de Cuisery, compétente pour le secteur. Trois jours plus tard, une seule de ces deux personnes y est reçue. Sa déposition est prise. Elle fait notamment part de son anxiété car le 16 février, date anniversaire de la mort de Valérie Guérin, approche. Et que les messages de Clément indiquent selon elle qu’il se trouve dans des dispositions mentales assez similaires à celles de l’époque. Elle ressort avec la garantie que l’information va être transmise au parquet de Mâcon. Mais aussi avec le constat que, tant que Clément Guérin n’a rien commis d’illégal, rien ne peut être fait.

Le 16 février, Yves Guérin reçoit la visite des gendarmes. Ils viennent parler de Clément, et des inquiétudes qu’il suscite. En cette funeste date, l’entrevue débouche sur un constat : le père n’a pas totalement conscience de la gravité de l’état de santé de son fils.

Une autre personne se rend elle aussi à deux reprises à la gendarmerie de Cuisery. Elle affirme avoir été peu écoutée la première fois : « On ne peut rien faire tant qu’il n’a rien fait. » Mais avoir été rappelée peu de temps après, par la hiérarchie louhannaise, pour faire une déposition à Cuisery. Elle y est reçue près de 45 minutes, par un gendarme ayant travaillé sur l’affaire du premier meurtre. Selon notre informateur, nous sommes alors au mois d’avril. Très peu de temps avant le crime. 

La maison de la famille Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La maison de la famille Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Au total, selon les éléments que nous avons recueillis, au moins quatre personnes différentes se sont rendues à la gendarmerie entre février et avril 2019.

Et l’information est effectivement remontée jusqu’au chef du parquet de Mâcon, mais aussi à son homologue de Chalon-sur-Saône. La commune où Clément Guérin est domicilié. Et celle du pôle criminel du département, où a été instruite la première affaire.  Les deux procureurs saône-et-loiriens ont été informés de ce renseignement judiciaire dès le mois de février.

Preuve de sa connaissance de l’inquiétude qui se fait jour localement, le procureur mâconnais signe aussi un courrier, adressé à des habitants de Romenay s’étant manifestés auprès des forces de l’ordre à Louhans. Ce courrier, daté du 27 mars, fait état de la situation médicale de Clément Guérin. Un sujet présenté comme toujours suivi par l’hôpital de Sevrey, toujours sous traitement, et qui a vu son hospitalisation complète levée car il a été déterminé qu’il ne représentait plus de danger en l’état. « Les faits révélés et les dénonciations faites ne relèvent pas d’un acte pénal », écrit le magistrat.

La situation de Clément Guérin relève de l’autorité administrative. Alors c’est le préfet qui est alerté à son tour : la gendarmerie ainsi que le procureur de la République chalonnais Damien Savarzeix font suivre le renseignement judiciaire aux services préfectoraux, qui ont le pouvoir de solliciter une procédure de soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat (SPDRE). Voilà comment, à la veille de la récidive, les diverses autorités sont renseignées du caractère préoccupant de la situation à Romenay.

le centre de Romenay. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

le centre de Romenay. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Au-delà des frontières du village, l’information des agissements de Clément Guérin n’a en revanche guère circulé. La famille de Valérie Guérin n’a pas été tenue au courant du fait qu’il n’était plus hospitalisé sous contrainte. « Quand il sortait en permission, avec son père, on le comprenait. Mais on était loin de se douter qu’il ne vivait plus à l’hôpital mais en appartement thérapeutique. Nous l’avons appris en même temps que les crimes, déplore Eric Drapier. Notre avocate n’en avait pas été informée non plus. » « Je l’ai su de la bouche de mes clients », confirme Me Agnès Ravat-Sandre, qui représentait le frère, la sœur et les parents de Valérie Guérin dans le cadre de la première affaire.

« Au sortir de l’audience d’irresponsabilité fin 2017, ils pensaient qu’il allait rester longtemps hospitalisé. C’était notre sentiment à tous. Quand j’ai appris pour la récidive, j’ai été stupéfaite. »

Me Ravat-Sandre

A l’aube du 16 avril, vers 5 heures, un Romenayou qui part travailler note une lumière inhabituelle à l’intérieur du domicile des Guérin, et leur voiture garée de guingois. Il s’en étonne. Un autre est réveillé par son chien qui jappe, vers 4 ou 5 heures. Au petit matin, il découvre une trace de sang sur la poignée de sa porte d’entrée.

A Simandre, village distant de 17 km, les grands-parents maternels de Clément sont réveillés par un appel en pleine nuit. Là encore, il est près de 5 heures, c’est leur petit-fils qui leur laisse un message. Il veut savoir s’ils le reconnaissent. Il a un cadeau pour eux, qu’il laisse devant la porte. Une lampe torche Groupama, déposée juste à côté d’une barre métallique. « Mon père voulait ouvrir, heureusement ma mère s’y est opposée », rapporte leur fils Eric Drapier. « Sinon, il y aurait eu quatre morts cette nuit-là. » A 5h31, Clément rappelle, il leur dit « Je vous aime. »

La voiture conduite par Clément Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

La voiture conduite par Clément Guérin. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Plus tard, entre 6 et 7 heures, une ancienne connaissance de Clément part au travail en voiture, lorsqu’elle remarque la Peugeot 308 des Guérin roulant à très faible allure. Il la dépasse, les deux conducteurs se retrouvent un instant côte à côte, il reconnaît Clément Guérin. Lorsqu’il se retrouve devant lui, il voit Clément faire demi-tour, se diriger en direction de Romenay, donc passer devant chez lui. Il donne un coup de fil, pour prévenir ses proches. Il est inquiet.

Vers 7h30 – 7h45 au hameau de La Troche, une voisine d’Yvette Guérin voit à son tour la Peugeot 308 passer devant chez elle, « tout doucement. Elle s’éloigne puis revient. J’observe Clément rentrer dans la cour. Il fait des tours, il téléphone. Puis quelques instants plus tard, il y a la gendarmerie qui arrive. »

C’est Clément qui a prévenu les gendarmes. Ces derniers le découvrent sur un banc à l’extérieur, fumant une cigarette. Et la grand-mère dans son lit, tuée de plusieurs coups de couteau. Un vasistas est brisé à l’étage : c’est par ici que Clément semble être entré. Le petit-fils est rapidement placé en garde à vue. Immédiatement, les enquêteurs s’enquièrent de la santé des autres membres de sa famille ou proches de Clément. Son ancienne petite amie est sauve, la sœur de son père aussi. Mais pas ce dernier.  

Le scellé sur la porte de la maison d'Yvette Guérin.
Photo d'archives JSL/Gaëtan BOLTOT

Le vasistas brisé sur le toit, par lequel serait entré Clément.
Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Ils le trouvent sur son lit, mort de plusieurs coups de couteau. Il présente aussi d’autres traces de violences. L’enquête fera apparaître qu’il a été agressé mortellement en deux temps : Clément a d’abord tenté de tuer son père, avant de se rendre chez sa grand-mère. Il semble, selon les éléments recueillis, qu’il l’a tuée dans son sommeil, avant de repartir chez son père. Et de l’achever. Il a ensuite erré en divers lieux, avant de se rendre à nouveau chez Yvette et d’appeler la gendarmerie. Voilà le déroulement des faits tel qu’il ressort des premiers éléments d’investigations.

S’est-il passé un événement particulier, dans les dernières heures, entre père et fils, qui expliquerait un tel geste ?

La relation entre Yves et Clément est au centre des interrogations. Parce que l’éventualité du parricide avait été en quelque sorte annoncée par Clément, depuis longtemps.

« Yves Guérin ne m’avait jamais dit qu’il craignait que ça lui arrive… mais moi, j’y avais pensé, car ça avait été évoqué dans les débats à la cour d’appel de Dijon, après le meurtre de Valérie Guérin. Clément a toujours parlé de "protéger" ses parents, pas seulement sa mère. »

Me Raynaud de Chalonge, avocate d'Yves Guérin

Protéger, c’est en effet le terme de Clément, au moment de raconter ses délires paranoïdes : sa famille risque d’être torturée par des gens avec qui il a un conflit lié à des stupéfiants dont il a critiqué la qualité, et il lui faut donc les tuer pour leur éviter d’atroces souffrances. Me Raynaud de Chalonge poursuit : « Je me disais qu’il y avait ce risque qu’il veuille un jour « protéger » son père. Je ne peux pas dire qu’Yves n’y a jamais pensé lui-même, il n’y a que lui qui aurait pu répondre. Mais il ne l’a jamais verbalisé devant moi. »

Certains au village rapportent que, les derniers jours, Yves affirmait que son fils allait mieux, qu’il était sur la bonne voie. D’autres personnes, comme Eric Drapier, suggèrent au contraire qu’il avait davantage pris conscience de la gravité de l’état de santé mentale de son fils, et qu’il se préparait à prendre une décision. « Yves avait des marques et des bleus. Ce n’est pas la première fois qu’il prenait des coups. » L’oncle de Clément a cette phrase brutale, qui raconte en creux la part du déni de la maladie de Clément dans le funeste destin de la famille Guérin : « Mon beau-frère n’a jamais vraiment cru à la schizophrénie de son fils. Il n’a pas pris à bras-le-corps la gravité de son état. Il l’a payé de sa vie. »  

Clément Guérin en janvier 2019. Photo DR

Clément Guérin en janvier 2019. Photo DR

A l’heure où nous écrivons ces lignes, en mai 2020, Clément Guérin est toujours mis en examen pour l’assassinat de son père et sa grand-mère. Il est en milieu carcéral, dans une unité hautement spécialisée pour personnes souffrant de ce type de pathologie, hors de Bourgogne. Une information judiciaire est en cours, ouverte au sein du même pôle criminel chalonnais que lors du premier meurtre. Dans ce cadre, Clément Guérin a fait l’objet de deux nouvelles expertises psychiatriques. Elles concluent encore une fois à l'abolition de son discernement au moment du passage à l’acte. La chambre de l’instruction doit maintenant être saisie : si elle suit les experts, Clément Guérin sera une nouvelle fois déclaré irresponsable. Il n’y aura donc pas de procès d’assises. Mais une nouvelle hospitalisation, à durée indéterminée.

Parallèlement, une autre information judiciaire est ouverte. Elle vise à éclairer sur la chaîne de responsabilités dans le fait que Clément Guérin ait été libre d’agir. C'est le procureur de Chalon qui a décidé l'ouverture de cette enquête. Et, même si le parquet local est directement concerné par l'objet des investigations, celles-ci sont conduites sous l'égide d'un juge d'instruction du même tribunal judiciaire. Dans ce cadre, les gendarmes de la section de recherche de Dijon ont déjà auditionné plusieurs personnes. Mais à ce jour, personne n'a été mis en examen.

Enquête et texte : Jim GASSMANN
Photos (hors archives) : Ketty BEYONDAS
Infographies et illustrations :
Michelle POINCIN, Sébastien LACOMBRE