L'AFFAIRE
LOUIS
RAMBERT

Double meurtre d’Écully en 1930
Ses mémoires de tueur
reliées avec sa propre peau

Photo Collection privée Zoummeroff

Photo Collection privée Zoummeroff

C'est une histoire à peine croyable. Un double meurtre à coups de marteau sur les hauteurs d’Écully en 1930 ; un tueur qui entretient une correspondance depuis sa cellule avec un médecin ; des membres humains légués pour la science ; et des mémoires reliées... avec la peau du tueur !

Plongée dans l'existence détonante du très tatoué Louis Rambert.

Je tiendrai, une fois mort, à ce que mon corps fût donné à la faculté de médecine et ma peau, pour les tatouages, à vous seul M. le docteur Lacassagne.

Louis Rambert, dans son testament écrit en prison

C'est à l'intérieur de cette maison du Pérollier, à Écully, que le crime a été perpétré. Photo d'archives Progrès

L'histoire de Louis Rambert a tout d'un roman noir. Ce voyou, installé dans la région lyonnaise, a vécu de petits larcins, s’est engagé dans la marine à ses 17 ans avant de s’adonner à la petite délinquance et à une vie sur les routes. Jusqu'à cette année 1930, où il s'acoquine de Gustave Mailly, un gars du milieu. Tous les deux, ils vont assassiner l'ancien chimiste fortuné Henri-Odilis Bergeron et sa tante octogénaire Mme Péan, à Écully, pour voler leur or. Un double meurtre qui va changer leur existence.

Incarcéré à la prison Saint-Paul, à Lyon, Louis Rambert entame une correspondance avec le médecin lyonnais, Jean Lacassagne, à qui il raconte les méandres de sa vie et les détails sordides de ses actes.

Plus tard, il lui lèguera son corps, notamment pour ses nombreux tatouages. Le médecin va ensuite rendre hommage à Louis Rambert en préparant ses mémoires, le tout relié avec sa peau tatouée.

La page de garde des mémoires avec les tatouages de Rambert, à gauche. Collection privée Zoummeroff

La page de garde des mémoires avec les tatouages de Rambert, à gauche. Collection privée Zoummeroff

Lettres manuscrites, photos, coupures de presse, facture des Pompes funèbres de Lyon, fiches signalétiques, etc. Tous ces documents recueillis par le médecin puis par un collectionneur sont un trésor de pistes pour remonter le fil d’un crime effroyable, perpétré sur les hauteurs d’un Écully en proie à l'insécurité dans les années 1930.

Ils sont rassemblés dans une collection privée du collectionneur Philippe Zoummeroff.

Collection privée Zoummeroff

Collection privée Zoummeroff

I - COMMENT EN EST-IL ARRIVÉ LÀ ?

Louis Rambert est né à Vichy en 1903. Il y grandit jusqu'à l'âge de 7 ans, avec ses parents. Mais après le décès de sa mère, "celle qui faisait son bonheur", il entre dans un orphelinat, où il se prend à "rêver d'aventure".

L'aventure, c'est l'évasion : il s'échappe, direction la campagne, pour devenir berger. Retrouvé cinq jours plus tard par les gendarmes, il se tient à carreaux jusqu'à ses 13 ans, lorsqu'il se retrouve placé comme domestique dans une ferme.

Une attirance particulière pour les prostituées

Un an plus tard, "dégouté par ce travail pénible", Rambert prend le chemin de la ville pour devenir maçon sur les chantiers, sa tante comme chaperonne. "J'étais heureux", raconte-t-il, dans ses écrits avec le docteur Lacassagne.

À l’aube de ses 17 ans, et puisque « le travail lui fait horreure (sic) », Rambert plonge dans la marine. Navigant de pays en pays, il s’adonne alors aux plaisirs charnels et voue une attirance particulière pour les prostituées.

La rencontre avec Gustave Mailly,
« le jour de mon malheure (sic) »

De retour à la « vie civile » en mai 1926, le jeune homme aide son beau-frère à conduire des camions, mais va vite sombrer dans la délinquance en venant à Lyon en 1929. C’est à ce moment qu’il commence à fréquenter le milieu lyonnais et Gustave Mailly – « le jour de mon malheure (sic) ».

Très vite, ils se lient d’amitié et font quelques coups. Jusqu’à celui d’Écully, le 22 octobre 1930. Savamment préparé.

Les mémoires de Rambert, écrites par lui-même. Collection privée Zoummeroff

Les mémoires de Rambert, écrites par lui-même. Collection privée Zoummeroff

Collection privée Zoummeroff

Collection privée Zoummeroff

II - DOUBLE-MEURTRE
ET ARRESTATION AMÈRE

Louis Rambert a 27 ans. Et il est prêt à passer à l'acte, poussé par son nouvel ami du milieu, Gustave Mailly.

Dans ses conversations avec le docteur Lacassagne, Rambert raconte scrupuleusement leur dernier coup. "Un jour, Mailly me dit, je connais une belle affaire, si tu veux, on la fera tous les deux", écrit-il. Il lui promettait deux vieux, millionnaires, seuls chez eux, avec l'argent caché là-bas.

Il détaille tout : du repérage des lieux, au vol d’une Spider Licorne dans un garage de Saint-Rambert (aujourd’hui Lyon 9e). Il évoque aussi la rencontre préalable avec Bergeron, l'ancien chimiste réputé fortuné.

Rendez-vous avec la mort

Et la méthode est pour le moins osée. Le duo diabolique a pris le soin de rencontrer sa victime au préalable. Un jour, les deux acolytes sonnent chez M. Bergeron, au portail de sa grande bâtisse, sur les hauteurs d'Ecully. Mailly fait passer Rambert pour un antiquaire, qui cherche à acheter de vieux meubles. Une occasion en or d'entrer dans la maison et vérifier si le "trésor" est bien ici.

Une demeure trop peu rangée pour l'hôte et tous trois conviennent de repasser ultérieurement. Un rendez-vous avec la mort.

"Pour moi, la meilleure solution, c'est une fois chez le vieux, je le prends à la gorge et toi tu le baillonnes, ou le ligotes. Et on fait de même avec la vieille et après, on fouille", raconte Rambert, dans ses écrits.

"C'est ton or que je veux et non ta vie"

Le scénario est rodé puis arrive ce 22 octobre 1930, jour du crime. Vers 16 heures, les deux malfrats entrent dans la maison, comme convenu, malgré un Bergeron un brin suspicieux. "Je lui demande le prix du meuble, il me dit 400 francs et c'est là que je lui saute à la gorge, et le renverse sur son lit. C'est ton or que je veux et non ta vie."

Robuste, Bergeron résiste mais Mailly lui assène un, puis deux, puis trois coups de marteau dans la tête, objet trouvé dans la pièce. Même scénario pour sa tante, Mme Péan, qui arrive sur place ; coups cette fois portés par Rambert.

Butin récolté

Meurtres non prémédités mais butin récolté : des milliers de pièces, plusieurs sacs d’or, des montres et des alliances en or, et même un revolver 7,65 – « le million que Mailly me promettait ». Les deux malfrats s'enfuient à la hâte.

Le récit du meurtre. Collection privée Zoummeroff

Le récit du meurtre. Collection privée Zoummeroff

A l'abri, chez le frère de Mailly, les deux acolytes se disputent. Rambert lui reproche les meurtres et « un boulot bidon ». Le début de la fin.

Sur la place Sathonay pour aller danser

En juillet 1931, Rambert loge toujours à Vaise malgré la peur de la « brigade de la Guille, qui chasse ». Le 14, alors qu’il se rend sur la place Sathonay pour danser, « les matons lui tombent dessus ».

Interrogé puis torturé, Rambert va ensuite comprendre que son ex-ami, arrêté la nuit précédente, l’a vendu.

Un article du Progrès sur l'affaire. Collection privée Zoummeroff

Un article du Progrès sur l'affaire. Collection privée Zoummeroff

La fiche antropométrique de Rambert à son entrée en prison. Collection privée Zoummeroff

La fiche antropométrique de Rambert à son entrée en prison. Collection privée Zoummeroff

III - DÉTENTION ET CONFESSIONS

C'est au moment de l'incarcération de Louis Rambert, à la prison Saint-Paul, à Lyon, que le docteur Jean Lacassagne va s'intéresser à son cas.

La rencontre a lieu le 18 juillet 1931. Jusqu'au 25 janvier 1934, la veille de la mort de Rambert, le médecin lui a rendu visite chaque semaine, dans sa cellule. "La première impression a été franchement mauvaise, écrit-il à l'époque. Expression sournoise et perfide, une attitude de bandit traqué qui ne sait pas encore comment il va défendre sa tête. Il savait que "la veuve" lui était réservée et il était plein de haine pour celui qui l'avait donné."

L'incroyable testament

Rapidement, Lacassagne gagne sa sympathie, en lui donnant de quoi acheter du tabac. Les échanges deviennent de plus en plus profonds. Au point que Rambert établisse, le 12 juin 1932, son testament, dans lequel il remet sa peau au seul Docteur Lacassagne, pour ses tatouages.

Le testament de Louis Rambert. Collection privée Zoummeroff

Le testament de Louis Rambert. Collection privée Zoummeroff

Pendant sa détention, Louis Rambert tombe rapidement malade. "Au printemps 32, son état général devint mauvais, livre Lacassagne. On lui diagnostiqua une pneumonie probable. Mais la résistance physique de Rambert était incroyable."

Une « agonie pénible »

Au point qu'il put comparaître aux assises, en octobre 1932, aux côtés de son ancien ami Gustave Mailly. Ils n'échappent pas à la sentence suprême et sont condamnés à mort.

Suivent de longs mois d’attente, entre la mort et la grâce. Cette dernière ne viendra qu’en mars 1933, compte tenu de leur état de santé calamiteux. Une « agonie pénible », détaille le médecin Jean Lacassagne, qui verra son patient trépasser de la tuberculose le 25 janvier 1934, à l’âge de 30 ans, à la prison Saint-Joseph de Lyon.

C'est donc après la mort de Rambert que le docteur Jean Lacassagne a hérité du corps de son ancien patient et notamment de sa peau tatouée.

La peau du torse de Rambert. Collection privée Zoummeroff

La peau du torse de Rambert. Collection privée Zoummeroff

Il fera appel au relieur lyonnais Albert Guétant pour qu'elle "habille" le recueil regroupant l'ensemble des confessions de Louis Rambert.

Les tatouages de Rambert. Collection privée Zoummeroff

Les tatouages de Rambert. Collection privée Zoummeroff

Un "ouvrage" qui fait polémique

Le 16 mai 2014, la maison Pierre Bergé et Associés accueille, à Paris, une vente aux enchères sur la criminologie. Parmi les nombreux biens, le lot 237, de la bibliothèque du collectionneur
Philippe Zoummeroff, est autrement plus insolite que les autres. Il s'agit des mémoires de Rambert et de Mailly, rassemblées bien sûr par l'étrange reliure.

Estimé à environ 12 000 €, le lot extraordinaire a finalement été retiré de la vente, la loi interdisant le commerce de restes humains. Et coïncidence, ce même jour, un autre ouvrage est également retoqué : Mein Kampf !

Rambert au moment de son incarcération. Collection privée Zoummeroff

Rambert au moment de son incarcération. Collection privée Zoummeroff

Gustave Mailly, au centre, en convalesence, à l'hôpital de Fourvière. Collection privée Zoummeroff

Gustave Mailly, au centre, en convalesence, à l'hôpital de Fourvière. Collection privée Zoummeroff

IV - GUSTAVE MAILLY,
LE BERGER À LA JAMBE DE BOIS

Si le docteur Lacassagne a davantage échangé avec Rambert, il a tout de même recueilli des instants de vie de Gustave Mailly, l’acolyte “balanceur”. Né en 1903 à Saint-Rambert-l’Île-Barbe (Lyon 9e aujourd’hui), ce petit truand ne l’a pas toujours été. Il commence sa vie sagement, comme berger dans des fermes, entre Grézieu-la-Varenne, Yzeron et Saint-Didier-au-Mont-d’Or.

Fin 1919, il revient travailler chez ses parents, à Saint-Didier, et chute d’un arbre. Direction l’Hôtel-Dieu, où il subit plusieurs interventions chirurgicales à la jambe et y reste en convalescence pendant de nombreux mois (photo ci-dessus).

« Tu souffriras toute ta vie »

Pour sa santé, ayant « besoin de bains de soleil », il file en Algérie réparer des pompes et appareils à sulfater les vignes. De retour au pays, en 1925, il devient chiffonnier. « Tout allait bien jusqu’à mars 1929 et la mort de mon père », écrit-il. Ensuite, il se fâche avec sa mère, est sommé de lui payer un loyer et doit faire son retour à l’hôpital.

« Tu souffriras toute ta vie. » Les mots du professeur de Tixier l’achèvent.

La grâce le sauvera de la guillotine

Tombé pour recel et ressorti avec « une frousse des diables », il se fera finalement pincer le 16 juillet 1931. « Cette fois, pas de doute, c’est pour le gros lot. Ils m’ont fait marron. »

Plusieurs années de souffrance ont suivi, mais Mailly et sa jambe “de bois” sont toujours dans l’attente de leur sort. En 1933, la grâce le sauvera de la guillotine. Ce sera le dernier signe de vie officiel de Mailly : sa mort n’a jamais été datée.

V - Jean Lacassagne sur les traces de son père Alexandre,
pionnier de la médecine légale

Alexandre Lacassagne (notre photo) a montré la voie à son fils, Jean. Photo DR

Alexandre Lacassagne (notre photo) a montré la voie à son fils, Jean. Photo DR

Médecin légiste lyonnais, le docteur Lacassagne père (1843-1924) se passionnait pour l’étude des tatouages et la sociologie criminelle. En 1881, il publie un essai sur le sujet et encadre des thèses sur les tatouages, aujourd’hui conservées dans le fonds Lacassagne de la bibliothèque universitaire Lyon 1.

Son fils, Jean (1886-1960), prend le relais et œuvre comme médecin des prisons. Il y observe les tatouages des prévenus, leur langage, se penche sur leur histoire et leur psychologie en recueillant leurs mémoires. C’est à cette occasion que Jean Lacassagne fait la connaissance de Louis Rambert, l’un des assassins d’Écully. Le médecin se rend dans sa cellule chaque semaine et entretient une relation de confiance si forte que le prisonnier lui léguera, dans son testament daté du 12 juin 1932, sa « peau pour les tatouages ».

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fait partie du Comité médical et est nommé assesseur du tribunal d’honneur. Il est également fait chevalier de la Légion d’honneur et crée la section lyonnaise de la Société d’histoire de la médecine.