L'histoire
de la presse locale
à saint-ÉTIENNE

Les journaux locaux se limitent aujourd’hui à très peu de titres. Imaginez un instant un marchand de presse à la fin du XIXe siècle. Le choix se comptait par dizaine et toutes les idées politiques et économiques étaient représentées…

La Gazette est le premier journal paru en France. Le titre est créé en 1631 par Théophraste Renaudot. Plus tard, la presse quotidienne apparaît à la fin de l’Ancien Régime, en 1777 avec le Journal de Paris.

Avec le faible niveau d’instruction, peu de gens lisent encore. Au XIXe siècle, la lecture des journaux se développe dans les cabinets de lecture et les cafés. Les prix, jusque-là élevés, baissent avec l’apparition de la publicité. Le roman feuilleton apparaît. Sous Louis-Philippe (1830-1848), le développement de la vie parlementaire alimente la presse politique.

La période du Second Empire, après une période de méfiance de la part du pouvoir, s’avère au final favorable à la diffusion des idées. La presse française prend véritablement son envol sous la IIIe République, à partir des années 1880 et la loi sur la liberté de la presse de 1881.

A Saint-Etienne

Le Mercure ségusien est considéré comme le premier journal local. Il paraît le 29 octobre 1825. Sous la Restauration (1815-1830), il se pose en porte-parole du mouvement libéral, son lectorat est le milieu des affaires, et est parfois victime de la censure du gouvernement. Il est, par contre, plus en accord avec le nouveau régime du roi Louis Philippe (1830-1848) et se déclare contre les mouvements révolutionnaires plus populaires. Il est seulement concurrencé par Le Journal de Saint-Etienne qui devient plus tard Le Courrier de Saint-Etienne.

Un monument de la presse stéphanoise apparaît à cette époque. Henri Théolier fonde en 1845 Le Mémorial judiciaire de la Loire qui deviendra Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire en 1854. Le lectorat catholique et conservateur trouve là pour presque un siècle son quotidien de référence. Le Mémorial va dominer le paysage éditorial stéphanois pendant la période de l’Empire (1852-1870) comme un allié naturel du pouvoir en place, défendant les intérêts commerciaux et industriels de l’élite locale. Il reste le seul quotidien jusqu’en 1860 et ne souffre que peu de concurrence ensuite.

Les dernières pages faites au plomb en 1975.

Les dernières pages faites au plomb en 1975.

L’essor de la presse avec la IIIe République

Le nombre de journaux n’augmente vraiment qu’à partir de la chute de l’Empire en 1870. La révolte des communards, qui se répand en traînée de poudre jusqu’à Saint-Etienne, où le préfet est tué, est propice à la création éditoriale. La Commune, journal à l’écriture manuscrite (!), paraît ainsi de décembre 1870 à mars 1871. Le gouvernement de Thiers compte lui aussi ses feuilles : Le Défenseur et Le Patriote de la Loire.

Les titres véritablement de gauche se montrent bientôt. La République des paysans sort en juin 1871. A peine sorti de la crise parisienne, on voit que la presse stéphanoise républicaine prend le dessus sur ses concurrents bonapartistes, légitimistes ou orléanistes.

Les années 1880

La loi de 1881 sur la liberté de la presse profite à tous, 32 titres voient le jour jusqu’en 1890, les journaux de gauche se révélant néanmoins plus actifs que leurs concurrents de droite. Le Petit Stéphanois (qui s’appellera aussi Le Stéphanois) en 1881 fait partie du patrimoine historique local. Difficile à cerner, il se dit « républicain », « radical », « socialiste », « indépendant » mais « Dieu-Patrie-Liberté » figurent un moment en Une. Son patron est une figure emblématique de ces années-là. Noël Bouchardy n’hésite pas à jouer de l’épée ou du pistolet pour les affaires d’honneur. Flamboyant mais mauvais gestionnaire, il vend le journal et le bâtiment place Marengo en 1905 à Alphonse Gintzburger et Louis Soulié, dirigeants de La Tribune républicaine.

Outre le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, le parti conservateur accueille un nouveau journal en 1886, Le Messager de la Loire, particulièrement destiné au milieu des affaires, rejetant les informations politiques aux autres. A sa disparition, Le Drapeau tricolore prend la relève. Très conservateur, héraut des politiques de Thiers et Mac-Mahon, il semble le plus réactionnaire de la scène stéphanoise.

C’est toutefois la presse de gauche à qui profite le mieux la loi de 1881. Quatorze feuilles apparaissent dans la décennie 1880, la plupart pour peu de temps. Le Mont-Pilat, sensible aux questions sociales, est un hebdomadaire hostile aux révolutions mais partisan du progrès par l’instruction. Un titre emblématique apparaît alors en 1883 : La Montagne. Créé par Emile Girodet et Alfred Colombet, ce quotidien radical socialiste se veut un journal de lutte contre « la dictature de la centralisation ». Son premier numéro est daté « du 13 brumaire an 92 » (aux alentours du 3 novembre 1883) et illustre sa volonté d’incarner la Montagne de la Convention. Cette même année, arrive un des deux rivaux du Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire : La Loire républicaine. Fondée par l’imprimeur Balaÿ, c’est une feuille vespérale, plutôt de gauche que de droite mais sans y être vraiment, qui dure jusqu’à la Libération. La Loire républicaine nous laisse aujourd’hui en héritage son siège place Jean-Jaurès construit par Léon Lamaizière.

La poussée nationaliste de la décennie 1890

Vingt-cinq titres ou changement de titres peuplent le paysage éditorial local de la dernière décennie du XIXème siècle. On note une poussée antisémite, conforme à l’élan national sur ce sentiment, et bien visible à travers les journaux de droite. La presse catholique publie La Croix de la Loire, antisémite et contre la franc-maçonnerie, supplément local de La Croix. Plus à droite L’Anti-juif stéphanois, au titre comme au contenu violemment antisémite, parait en 1898.

La même année, L’Opinion, conservateur, hostile aux francs-maçons et antisémite, défenseur de la religion et de l’armée annonce son programme : « France et liberté – Dieu et patrie ». Le Messager royal est l’organe des monarchistes français. Il milite pour « Dieu, la France et le roi », un pouvoir fort avec un chef incontesté.

Une presse pourtant toujours plus à gauche

Les titres de gauche sont pourtant largement dominateurs chez les marchands de presse stéphanois. Le Réveil des mineurs est fondé dès 1890. Installé à la Bourse du travail, alors place Marengo, il lutte contre le monde bourgeois et ses concurrents : Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire et La Loire républicaine. Le Peuple, la même année, rassemble les socialistes (Jules Ledin, futur maire, fait partie de la rédaction). Le quotidien montre ses ennemis : les boulangistes, les réactionnaires et les opportunistes. La montée des journaux de gauche prend une autre dimension avec Le Réveil des tisseurs en 1898 : c’est l’organe des travailleurs du textile, puis plus tard celui de la CGT.

La Tribune républicaine est fondée en 1899 par Louis Soulié et Alphonse Gintzburger. C’est un pilier de la presse stéphanoise jusqu’à nos jours. Briand est un des dirigeants, Jaurès y écrit. Le journal aide Aristide Briand à se faire élire député en 1902 et 1906 et est plus tard, un support à l’élection du Cartel des Gauches et plus précisément celle de Soulié, à la mairie. Le quotidien domine le marché stéphanois jusqu’en 1944.

Le déclin de la presse de droite au début du XXème siècle.

La première décennie du XXème siècle voit la presse de droite, dans le contexte brûlant des lois sur les associations (1901) et de séparation des Eglises et de l’Etat (1905), outre Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, se limiter au seul L’Egalité sorti fin 1904 qui milite pour l’armée et l’Eglise.

La période 1870-1914 correspond au développement de la presse quotidienne permis par le régime républicain libéral et la loi du 29 juillet 1881. L’âge d’or est toutefois à nuancer car si les nouvelles publications sont nombreuses et diverses, ces nouveaux titres ne durent souvent que peu. Trop de feuilles pêchent par manque d’assise financière. La presse stéphanoise est en fin de compte dominée par les trois « grands » jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : La Tribune républicaine, La Loire républicaine et Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire.