La presse stéphanoise,
de la Libération
à nos jours
L'histoire de la presse locale à Saint-Étienne, épisode 3
Le paysage éditorial local, après avoir connu une profusion de titres, s’engage alors dans un processus irréversible d’acquisitions et de fusions à partir des années 1960.
Jusqu’au dernier survivant : La Tribune-Le Progrès.
La presse stéphanoise de la fin du XXe siècle et d’aujourd’hui naît le 21 août 1944. Année zéro. Ce jour-là, les mouvements de Résistance réunis font paraître un quotidien sur une simple feuille, restrictions oblige : La République. Il donne les informations sur la vie quotidienne, le déroulement de la guerre, les libérations de ville, nombreuses à ce moment-là. Ce journal paraît pendant une quinzaine de jours, jusqu’au 3 septembre, le temps pour chaque groupe de Résistance de préparer son organe de diffusion.
La presse de la Résistance
Les gaullistes du Mouvement de libération nationale créent L’Espoir, Les Équipes chrétiennes La Dépêche démocratique, le Parti communiste Le Cri du peuple et le Front national (communiste également) Le Patriote de Saint-Étienne. Le Cri du Peuple paraît peu de temps. Tiré à 50 000 exemplaires fin 1944, il périclite le 16 décembre 1946. Le Patriote récupère son lectorat et prend le relais idéologique dans l’opinion publique communiste.
La Dépêche
La Dépêche démocratique est le journal du MRP (Mouvement Républicain Populaire), parti politique proche de Georges Bidault (ancien Résistant, député, ministre) et d’obédience catholique.
Il s’installe d’ailleurs dans les locaux du défunt Mémorial, rue Gérentet. Les tirages connaissent une période de croissance brève avant d’entamer une lente mais inéluctable érosion : 84 000 exemplaires en 1948 sur plusieurs départements, 45 000 en 1965, 23 300 en 1975 et 17 000 en 1977. Après l’achat de plusieurs journaux de la région, les difficultés financières apparaissent dès 1949.
Le Patriote
Édité par le Front national, organe communiste, il rassemble l’opinion de l’extrême gauche stéphanoise après la disparition du Cri du Peuple. Son tirage est assez honorable tout au long de son existence : 58 000 fin 1944, 42 000 en 1947, 50 000 en 1950-51.
Mais les difficultés financières apparaissent avec les nombreuses poursuites judiciaires à cause de ses articles virulents et pour propagation de fausses nouvelles. Le Patriote en est à son vingt-cinquième procès en janvier 1950 pour un total de deux millions de francs d’amendes !
A cette époque, parmi les Ligériens les plus connus à la rédaction, figurent Joseph Sanguedolce et Théo Vial-Massat, anciens résistants et respectivement futurs maires de Saint-Étienne et de Firminy. Le dernier numéro paraît le 10 décembre 1958. Le journal invite ses lecteurs à se tourner vers L’Humanité.
L'Espoir
Michel Durafour, futur maire de Saint-Étienne et Jean Nocher, Résistant local, font partie de la première rédaction. D’inspiration gaulliste, L’Espoir connaît de suite un fort tirage (75 000 fin 1944) et devient rapidement le quotidien le plus lu de la région stéphanoise en récupérant une partie du lectorat de La Tribune Républicaine.
Fin 1949, il approche les 150 000 exemplaires avant de décliner avec le retour de La Tribune. Il participe à l’aventure de la SOGEP en 1951 avant d’être racheté par Le Progrès en 1964.
Le retour de La Tribune républicaine
La Tribune Républicaine avait été interdite à la Libération, Gaston Deferre, ministre de l’Information autorise la reparution du titre dès mai 1946. Satisfaits, les propriétaires du journal se heurtent alors à l’opposition générale de la presse stéphanoise.
Les quatre quotidiens publient une tribune dans leur édition du 15 mai 1946 : « Le Cri du Peuple, La Dépêche, L’Espoir, Le Patriote, entièrement solidaires, ont le devoir d’informer le public d’une grave atteinte aux droits de la presse. (…) En violation des ordonnances d’Alger, (…) M. Gaston Deferre vient d’autoriser à reparaître La Tribune du centre et du sud-est sous une étiquette socialiste mais sous la dépendance des anciens propriétaires de La Tribune républicaine. (…) Nous protestons contre la réapparition à peine camouflée d’un titre condamné par les engagements pris dans la clandestinité et confirmés depuis la Libération. »
La Tribune reparaît finalement le 31 août 1951 sous le titre La Tribune du centre et du sud-est, titre qu’elle garde jusqu’à son absorption par Le Progrès en 1963.
La SOGEP
Le journal s’associe un an plus tard, le 23 août 1951, avec L’Espoir et La Dépêche au sein de la SOGEP (Société de Gestion, d’Edition et de Publicité). Face aux coûts toujours plus importants, les trois quotidiens mettent en commun la gestion, la publicité, certaines pages sauf celles politiques et les titres afin de respecter les opinions de chaque quotidien. L’expérience dure douze ans.
Le Progrès et Le Dauphine libéré à Saint-Étienne
En 1963, Le Progrès rachète La Tribune. La Dépêche se rapproche alors de L’Espoir pour former la Société de gestion et d’édition (SOGED). L’association est éphémère jusqu’à l’entrée de L’Espoir dans le giron du Progrès en 1964. La guerre va faire rage entre Progrès et Dauphiné.
En 1963, la SOGEP est en difficulté financière. Le Progrès en profite alors pour racheter La Tribune du centre et du sud-est en septembre 1963 (il fait de même avec L’Espoir un an plus tard).
La Tribune-Le Progrès, titre que nous connaissons aujourd’hui, paraît à partir du 1er octobre 1963. La rédaction parisienne est supprimée, le journal se retire de Saône-et-Loire, terre réservé au Progrès. La Tribune-Le Progrès a alors sept éditions réparties dans la Loire, la Haute-Loire et l’Allier.
Le Progrès
Le Progrès paraît le 12 décembre 1859 à Lyon sous l’impulsion de l’imprimeur Chanoine, avec une édition du matin et une du soir. Il tire à 200 000 exemplaires en 1902.
Pour s’être sabordé lors de l’invasion de la zone sud le 11 novembre 1942, il peut reparaître dès la Libération de Lyon le 8 septembre 1944. Le Progrès s’installe à Saint-Étienne modestement au début des années 50, à l’ombre des quotidiens locaux que l’on croit encore aussi indétrônable que ceux d’avant-guerre.
Déjà présent sur la place, il profite des difficultés de la SOGEP pour acquérir le titre le plus porteur : La Tribune du centre et du sud-est le 1er septembre 1963. L’Espoir est aussi absorbé en avril 1964. Les deux titres deviennent une édition locale du journal lyonnais qui étend alors son empire régional face au concurrent : Le Dauphiné Libéré.
Emile Bremond, le directeur, conclut un partenariat avec ce dernier en septembre 1966 : mise en commun des moyens de production, de la publicité, de la diffusion et de certaines rédactions locales. L’agence de presse AIGLES est créée au service des deux groupes.
Le Dauphiné Libéré
Le Dauphiné Libéré est fondé à Grenoble le 7 septembre 1945. Avec le rachat de La Tribune et de L’Espoir par Le Progrès, La Dépêche rejoint alors en 1964 le giron du Dauphiné Libéré, tout heureux de pouvoir concurrencer son « vieil » ennemi Le Progrès en terre stéphanoise.
Le Dauphiné Libéré lance par la même occasion une édition locale. D’abord orageux, les rapports entre les deux grands se normalisent à partir de 1965.
Afin de réaliser des économies d’échelle, ils mettent en commun certains services comme les moyens de production, de publicité, de diffusion et certaines pages (une sorte de nouvelle SOGEP) par le biais de nouvelles sociétés comme l’agence de presse AIGLES.
La bataille entre Le Progrès et Le Dauphiné
Ces accords sont rompus en 1980, lorsque Jean-Charles Lignel, qui a réussi à écarter la famille Bremond de la direction du Progrès, attaque Le Dauphiné Libéré en justice. Si celui-ci gagne le procès et 7,2 millions de francs d’indemnités, il doit reconstituer rapidement une rédaction.
A partir de cette période, Le Dauphiné Libéré adopte une politique agressive à l’égard de son concurrent : il créé Loire-Matin, qui le remplace à partir de septembre 1980, puis absorbe La Dépêche à l’été 1981. Une page se tourne avec la disparition de ce quotidien fondé en août 1944...
Celui-ci bénéficie de l’affaire de la « caisse noire » de l’Association sportive de Saint-Étienne en annonçant le premier la crise le 1er avril 1982. Le rival, La Tribune-Le Progrès se pose parmi les pro-Rocher, le président du club. Loire-Matin se classe parmi les anti-Rocher. Le débat permet au titre d’accroître sa diffusion. Malgré cette offensive, Le Progrès détient encore 85 % du marché.
La Socpresse, le groupe de presse de Robert Hersant, acquiert Le Dauphiné Libéré en 1982, puis Le Progrès en 1986. Les deux ennemis appartiennent désormais à la même famille. La fusion des deux titres se prépare peu à peu. On voit ainsi apparaître puis grossir le terme « Le Progrès » dans le titre « Loire-Matin » jusqu’à la disparition de ce dernier en mai 1991. Depuis cette date, La Tribune-Le Progrès regroupe en son sein tous les titres historiques de la presse stéphanoise du XXe siècle.