Le cardinal Barbarin :
de l'ascension
au purgatoire
Retour sur le parcours du plus haut dignitaire catholique de France, devenu un symbole de la crise de l’Église face à la pédophilie.
Même si le pape François a refusé, mardi 19 mars, sa démission "en invoquant la présomption d'innocence", Philippe Barbarin a décidé de "se mettre en retrait pour quelque temps". Sans préjuger des suites judiciaires, ni de la suite de la carrière du cardinal de 68 ans, indéniablement, une page se tourne à l'archevêché de Lyon. Nommé il y a 17 ans, le primat des Gaules a marqué de son empreinte, parfois controversée, le diocèse lyonnais, jusqu'à devenir le plus éminent personnage de l'Eglise française. Médiatique mais proche de ses fidèles, à la fois traditionaliste et détonnant, le cardinal est devenu malgré lui un symbole de la crise de l’Église face à la pédophilie en France.
Condamné pour ne pas avoir dénoncé les abus sexuels d’un prêtre de son diocèse, Barbarin n'a pas été épargné par le tribunal correctionnel, estimant qu’il avait "préféré prendre le risque d’empêcher la découverte de très nombreuses victimes d’abus sexuels par la justice" pour "éviter le scandale", et l’a condamné à six mois de prison avec sursis. Condamnation dont il a fait appel.
En démissionnant, l'archevêque de Lyon a cette fois voulu "redire toute sa compassion pour les victimes et leurs familles". Mais avec un retard coupable.
Sans doute symptomatique de sa formation et des principes qu'il s'est forgés tout au long de son parcours, faisant de lui une personnalité complexe, aux contradictions plus ou moins assumées : conservateur, voire réactionnaire sur certains sujets sociétaux, il se montre œcuméniste, voire iconoclaste dans d’autres dossiers. Son ascension est fulgurante faisant de lui la figure la plus en vue de l’Église française, un moment outsider à la papauté en 2013. Plus dure est la chute pour ce cardinal aux multiples facettes, habité par la foi, qui se retrouve à devoir rendre des comptes à la justice des hommes.
Un conservateur iconoclaste
Lorsqu’il arrive à Lyon en 2002, le style du nouvel archevêque détonne. Philippe Barbarin succède à trois prélats morts coup sur coup. Il n’a que 52 ans, un jeunot à ce poste si prisé de primat des Gaules, et il casse les codes. Il veut ouvrir l’église sur la société. "Éteignez la télé, allumez l’Évangile !" lance-t-il comme un slogan publicitaire, tandis qu'il fait distribuer 500 000 exemplaires de la Bible à l'occasion de la fête des Lumières.
Amateur de course à pied, avec plusieurs marathons à son palmarès, l’ecclésiastique s’impose un jogging chaque matin sur la colline de Fourvière. Fan de Tintin, il aménage une pièce de l’archevêché pour entasser les albums de Hergé traduits dans une multitude de langues. Et à la nuit tombée, il adore lever les yeux au ciel, non pas pour prier, mais pour s’adonner à sa passion de l’astronomie.
Intellectuel à l’élocution singulière, voire déroutante, polyglotte, Philippe Barbarin va à la rencontre des sans-papiers et des Roms, est présent sur les réseaux sociaux, mais avance aussi aux premiers rangs des manifestations anti-avortement, contre l’euthanasie et bien sûr contre le mariage pour tous. Des positions qui agacent.
"S’il n’y a plus beaucoup de chrétiens en France, ce n’est pas mon problème. Mon problème, c’est que nous, chrétiens, ne sommes pas assez chrétiens", avait-il déclaré en arrivant à Lyon. "Je sais que cela choque mais je le répéterai : le christianisme cool n’a pas d’avenir". Le préservatif ? "Je sais que, pour être un prêtre moderne, il faudrait que je dise que je suis pour. Mais je ne peux pas... Puisque je suis opposé à ce que l'on donne son corps à n'importe qui", confie-t-il en 2002. Jusqu’au dérapage en 2012 au sujet du mariage homosexuel : "Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre... Après, un jour peut-être, je ne sais pas quoi, l’interdiction de l’inceste tombera", déclarait-il en 2012. Des propos qu’il avait tenté de nuancer par la suite.
«Inclassable, il est en fait un évêque de la génération Jean Paul II», écrivent à son propos Jean Comby et Bernard Berthod dans leur "Histoire de l’Eglise de Lyon"
"Naturel, sympa, communiquant, il tranche avec ses prédécesseurs, qui étaient plus compassés. Il peut parfois être très inspiré", confiait au Progrès en 2007 Christian Terras le directeur de la revue chrétienne progressiste Golias. Mais selon lui "Barbarin est un personnage à double face". "C'est quelqu'un de chaleureux, dans l'affectif en permanence, très révélateur de la génération Jean-Paul II. Il adore se mettre en scène et mettre en scène ce qu'il fait. Mais il existe un télescopage entre l'empathie naturelle qu'il dégage et ce qui se trouve derrière." Christian Terras voit dans le personnage "une modernité de façade, qui cache une arrière-boutique plus que classique". Il l'a même surnommé peu après son arrivée à Lyon, le "Sarkozy de l'épiscopat". "Il est comme l'homme politique dans cette trépidation de l'activité et du relationnel. Heureusement qu'il a la prière et le jogging pour le réguler, sinon il imploserait", analyse le directeur de la revue, qui parle aussi de "posture de certitude" d'un homme qui a une vision "identitaire" du catholicisme. "Il appartient au "catholicisme intransigeant" de l’Église du XIXe siècle, d’affirmation doctrinale et dogmatique."
Des certitudes forgées dans son diocèse précédent, celui de Moulins (Allier) durant quatre ans. A son arrivée en 1998, Philippe Barbarin va voir un à un tous les prêtres et multiplie les contacts avec les fidèles. Le jeune évêque surfe sur la vague du succès des Journées mondiales de la jeunesse à Paris en 1997 et de la "nouvelle évangélisation" de Jean-Paul II. A l’image du pape, à ce versant moderne, Mgr Barbarin associe un aspect beaucoup plus traditionaliste et rigoriste. A la cathédrale de Moulins, il a rétabli la récitation du chapelet quotidienne, en fin d’après-midi, y assistant lui-même.
Capable de dérapage sur le mariage pour tous, Barbarin est tout autant capable de fulgurances iconoclastes, qui relèvent autant du courage que de l’illumination. C’est selon. Comme le démontre son comportement lors du conclave de 2005, convoqué après la mort de Jean-Paul II et qui élira Benoit XVI. Cardinal depuis deux ans, il commet la "folie" de voter pour le patriarche orthodoxe de Constantinople, Bartholomée, au nom de l’unité des chrétiens. Iconoclastie poussée à son paroxysme factuel et idéologique, qui ne manque pas de piquant s'agissant d'un soutien à la religion orthodoxe... Mais l’initiative fait très mauvais genre au Vatican et handicapera longtemps Barbarin qui ne participe pas, contrairement aux autres cardinaux français, à des instances importantes au sein de la curie romaine. Il devra attendre l’élection de François pour revenir en grâce auprès du Saint Siège.
Un oecuméniste acharné
Au cours de sa carrière, Philippe Barbarin a multiplié les contacts avec des personnalités d’horizons très divers, démontrant une ouverture d’esprit indéniable et originale pour un ecclésiastique de son rang. A Lyon, le cardinal entretient notamment d'excellents rapports avec le recteur de la Grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, qui lui a remis sa médaille d'officier de l'Ordre national du mérite en 2007. Les deux hommes se sont rendus ensemble au Liban en 2015 à l'occasion de la fête islamo-chrétienne de l'Annonciation. Et Barbarin a soutenu le projet d'Institut de civilisation musulmane porté par la Grande mosquée. Il met le même entrain à l’égard de la communauté juive dont il a arpenté tous les lieux de mémoire, et est devenu l’ami du grand rabbin Richard Wertenschlag.
"C'est un homme d'une certaine complexité", observe Jean-Dominique Durand, professeur d'histoire religieuse contemporaine, ancien président de la Fondation Fourvière et actuel adjoint au maire de Lyon. "Sa position conservatrice sur le plan des mœurs ne l'empêche pas d'être progressiste et même audacieux sur les questions sociales, le dialogue interreligieux, la solidarité...", note l'universitaire.
Mgr Barbarin s’est aussi beaucoup investi auprès des chrétiens d’Orient en proie aux persécutions, en particulier en Syrie ou en Irak où il s’est rendu à plusieurs reprises. Envoyé spécial du pape François, il a annoncé le jumelage des diocèses de Lyon et de Mossoul à Erbil en juillet 2014, avant d’organiser une fête de l’Immaculée conception, sur le modèle de la fête des Lumières de Lyon, dans la capitale du Kurdistan irakien, avec des réfugiés chrétiens ayant fui les djihadistes de l’organisation Daech.
Autre exemple illustrant le volet progressiste de sa personnalité, en 2002, à peine est-il arrivé à Lyon qu’il décide d’abriter des sans-papiers à la cathédrale Saint-Jean. Une sensibilité acquise auprès de l’abbé Pierre, dont il était un proche. C'est d’ailleurs lui qui prononce l'homélie lors des obsèques du fondateur d'Emmaüs en 2007.
Pour comprendre les paradoxes du cardinal Barbarin, il faut remonter à son enfance et à un contexte familial particulier. Philippe Barbarin est né le 17 octobre 1950 dans un pays musulman, à Rabat au Maroc. Il est issu d’une famille très pieuse de 11 enfants. Son père déroule une carrière militaire, sa mère est femme au foyer, deux de ses sœurs deviendront religieuses et une troisième engagée au sein de la très conservatrice Opus Dei, l’un de ses frères exercera la médecine dans le très populaire quartier parisien de la Goutte-d’Or (18e arrondissement) et deux autres imiteront leur père comme officiers. Le futur prélat est le 5e enfant de cette famille, au cœur d’influences multiples, dont il tentera une sorte de synthèse improbable.
Ce n’est qu’à l’âge de 10 ans qu’il découvre la France, en suivant son père qui achève sa carrière comme cadre dans une banque parisienne. Maître en philosophie et en théologie, après des études à la Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris, il est ordonné prêtre en 1977 dans le diocèse de Créteil (région parisienne) où il reste près de 17 ans - le moment "le plus heureux" de sa vie de prêtre, répète-t-il souvent.
Son charisme y fait merveille. Dans le Val-de-Marne où il exerce son ministère dans plusieurs paroisses, il ne laisse personne indifférent. Tous les vendredis soir, il réunit des jeunes à l’église Notre-Dame de Vincennes pour leur offrir une formation théologique, invitant des représentants d’autres religions ou des philosophes, et organise des pèlerinages en Italie, en Pologne ou en Terre Sainte. A Boissy-Saint-Léger, où il est curé de 1991 à 1994, il réussit à faire revenir les fidèles à l’église avec des homélies remarquées.
Son séjour à Madagascar est tout aussi rayonnant. A 44 ans, il subit un choc en débarquant dans l’un des pays les plus pauvres au monde, partagé entre chrétiens (catholiques et protestants) et adeptes de la religion traditionnelle, avec également une minorité musulmane et hindouiste. Prêtre fidei donum (missionnaire) et professeur de théologie au séminaire de Fianarantsoa, il se donne corps et âme à sa mission, se fondant très rapidement au sein de la communauté en apprenant le malgache ou en partageant ses footing matinaux avec les étudiants. Son expérience sur l’île l’habitera tout au long de son sacerdoce.
En 1998, nommé évêque de Moulins (il est alors le plus jeune évêque de France), il fait venir de Madagascar l'archevêque de Fianarantsoa pour présider sa cérémonie d'ordination, célébrée dans une cathédrale pleine à craquer. Du jamais vu.
Devenu archevêque de Lyon, il incite le maire, Gérard Collomb, à investir de l'argent pour un projet d'assainissement d'eau dans deux communes de Madagascar. Des prêtres malgaches lui rendent de temps en temps visite. Une attention particulière qui a rendu jaloux bon nombre de prêtres lyonnais qui n’en demandent pas tant pour mener la fronde contre l’insolente réussite de l’eccclésiastique.
Une ascension fulgurante
En moins de cinq ans, Philippe Barbarin passe du statut de curé anonyme aux fonctions les plus élevées de l’Eglise catholique française. Après quatre ans à Moulins comme évêque d’un diocèse rural et sans véritable responsabilité épiscopale, et malgré son dynamisme, ses talents de communication auprès des fidèles et sa connaissance de l’Evangile reconnus par tous, il n’a pas vraiment le profil du candidat à l’archevêché de Lyon.
Deux atouts majeurs vont jouer en sa faveur. Le diocèse est très marqué par la disparition successive de ses trois archevêques : Albert Decourtray en 1994, Jean Balland en 1998 et Louis-Marie Billé en 2002. Le Vatican veut donc un homme jeune susceptible d’occuper ce poste de longues années.
Philippe Barbarin jouit, en outre, d’un appui de poids : le cardinal Jean-Marie Lustiger a remarqué le jeune curé de longue date. Le célèbre archevêque de Paris, qui a l’oreille du Vatican, jouit d’une réputation de faiseur d’évêques en France. «Pour sa succession, Jean-Marie Lustiger avait plusieurs hypothèses. Barbarin en faisait partie», raconte l’un des proches collaborateurs de Lustiger à l’époque.
Il n’empêche, la nomination de Philippe Barbarin par Jean-Paul II comme primat des Gaules en 2002 est une surprise pour le grand public. Presque autant que l’année suivante lorsqu’il est créé cardinal.
Auréolé de cette ascension fulgurante, Mgr Barbarin devient "Monseigneur 100.000 volts", comme le surnomment les Lyonnais, et entame sur les berges du Rhône et de la Saône une véritable course de fond, fidèle à sa dynamique dans ses autres ministères. De Vaulx-en-Velin à Roanne. De la prison de Villefranche à la Bibliothèque de la Part-Dieu. Du Veilleur de Pierre au cimetière de Loyasse. De la grande mosquée à la grande synagogue. De Fourvière à la nouvelle paroisse Saint-Michel en Rhône et Loire à Bourg-de-Thizy. Il sillonne, autoroutes et chemins de campagne, s'impatiente (déjà) dans les embouteillages lyonnais et trouve (en secret) le temps d'enfourcher son vélo pour se faire les mollets à l'assaut de la colline qui prie.
Seulement Lyon est un diocèse complexe et délicat. De nombreux prêtres se montrent sceptiques envers ce nouvel archevêque qui veut donner de la visibilité à l’Église catholique, mais aussi à lui-même. Dans cet univers un brin hostile, le style déroutant et parfois arrogant du cardinal passe mal. A l'archevêché, ses relations avec les différents évêques auxiliaires et vicaires généraux qui se sont succédé à ses côtés, sont rarement au beau fixe. "Au quotidien, c'était très difficile. Le cardinal a beaucoup d'idées, c'est une intelligence très rapide. Il court, il court… Quand il pose une question, il a en fait déjà plusieurs réponses dans sa tête", confie l'un d'eux.
Car le cardinal Barbarin n’aime rien d’autre que les engagements et remettre le catholicisme au cœur des enjeux sociétaux, sans parler d'un certain goût personnel pour l'avant-scène. Il répète souvent: "On a trop longtemps mis notre foi dans notre poche. On n’a plus de complexes à avoir." Il s'exprime aussi bien sur les rémunérations des grands patrons, que sur les grands sujets de société qu’il affectionne, la fin de vie, l’avortement, le mariage pour tous, mais aussi la laïcité ou sur les attentats qui ont touché la France en 2015.
Auprès de la société civile lyonnaise, le primat des Gaules séduit indéniablement. Il déploie tout son savoir-faire en matière de disponibilité, de contacts et d’initiatives grand public. Tous les vendredis à partir de 18 heures, il se présente dans la cathédrale pour y rencontrer tous ceux qui le souhaitent et notamment les jeunes. Les Rhodaniens apprécient "son style direct, sa façon de célébrer avec des gestes larges, et ses homélies, un véritable voyage dans la Bible ou l’histoire de l’Église en moins de dix minutes", comme le décrit la journaliste du Progrès Jeanine Paloulian en 2002.
L'émoi est réel et on pense que la malédiction frappe encore l'archevêché lyonnais, lorsque Barbarin est atteint d'un cancer de la prostate fin 2007. Et une fois de plus, le cardinal bouscule le protocole en révélant lui-même sa maladie par une lettre adressée à tous les prêtres du diocèse. Opéré en janvier 2008, il se remet vite sur pieds. Ses fidèles respirent et l'admiration grandit.
D'autant que l’homme soigne les rendez-vous avec la population. Il veille au rayonnement de la Fête des Lumières, et à son sens religieux, en insistant pour que « Merci Marie » brille en grosses lettres sur la colline de Fourvière.
Le cardinal Barbarin a également redoré le blason du vœu des Echevins, chaque année le 8 septembre, où il se voit remettre par le maire un écu d’or et un cierge, en signe de reconnaissance de Notre-Dame de Fourvière. Il bénit ensuite la ville depuis le balcon de la basilique avec le Saint Sacrement. Trois coups de canon sont tirés au moment de la bénédiction tandis qu'au même moment retentit le bourdon de la primatiale Saint-Jean.
Un moyen aussi de retisser des liens avec la municipalité. Gérard Collomb ne cache pas son affection pour l’archevêque de Lyon, répétant à l’envi qu’il le considère comme un ami. Des amitiés politiques que Philippe Barbarin aime à entretenir. Nicolas Sarkozy, auquel le cardinal a été souvent comparé, est séduit par l’ambivalence de sa personnalité. "J’aime ce contraste qu’on devine chez lui entre le classicisme et l’effet novateur ", confiait-il en 2005. Et alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur (et donc chargé des cultes), le futur président de la République assiste à l’ordination du prélat comme archevêque de Lyon. Un fait inédit.
Pas passé inaperçu non plus, le dîner en janvier 2016 avec le président de la République d’alors, François Hollande. Le cardinal-archevêque de Lyon n’est pas, à proprement parler, l’interlocuteur ecclésiastique qu’on imaginerait pour un président socialiste. Encore plus en plein débat sur le mariage pour tous pour lequel Barbarin n’a de cesse de répéter tout le mal qu’il en pense. Un paradoxe de plus.
Le cardinal au purgatoire terrestre
C’est sans doute au mitan de ces années 2010 que date une certaine incompréhension avec une partie de la communauté catholique en général, et lyonnaise en particulier. Consensuel et novateur au début de son mandat, Barbarin devient plus que jamais clivant, laissant apparaître au grand jour la complexité de sa personnalité et des engagements jugés contradictoires. En devenant, un peu malgré lui, l’un des porte-paroles de la Manif pour tous et de tout ce catholicisme droitier et ultra-droitier qui a émergé en 2017 autour de Sens commun et de la candidature de François Fillon, son visage traditionaliste et réactionnaire l’emporte sur son caractère oecuméniste et son souci des plus modestes.
Mais c’est évidemment l’affaire du père Bernard Preynat, du nom de ce curé accusé de pédophilie qui aurait agressé pendant vingt ans des dizaines de scouts de Sainte-Foy-les-Lyon, qui l’envoie au purgatoire de la justice des hommes. Philippe Barbarin ne ressemble pas au personnage créé dans le film Grâce à Dieu de François Ozon. Plutôt spontané et chaleureux, son avatar cinématographique apparaît comme glaçant, distant et solennel. Mais de tempérament instinctif, surtout solitaire dans ses décisions et enfermé dans ses certitudes, il va mener cette affaire sordide en dépit du bon sens.
Car dès les années 1990, presque tout le clergé lyonnais est informé des faits reprochés au curé Preynat. Mais, tout comme ses trois prédécesseurs archevêques qui n’avaient pas osé dénoncer le prêtre soupçonné de pédophilie à la justice, le cardinal Barbarin le maintient dans ses fonctions. Le curé le convainc même de sa rédemption et se voit confier différents ministères, où il est toujours en relation avec des enfants. Lorsque d’anciennes victimes découvrent cette criminelle aberration en 2014, elles constituent l’association « la Parole libérée » et portent plainte.
Mal entouré – il a fait le vide autour de lui supportant mal la contradiction de ses évêques auxiliaires et vicaires généraux -, le cardinal Barbarin ne prend pas la mesure de l’affaire et encore moins des blessures des victimes. Sa gestion de crise est catastrophique. Il attend 2015 avant d’évincer enfin le père Preynat de son clergé. Dans sa défense, il s’obstine à répéter que les faits sont anciens, qu’il ne savait pas et qu’il paye "pour le péché d’un autre". Enfin, lui l’homme du coup de com, commet un nouveau dérapage médiatique lors d’une conférence de presse qui servira de titre au film d’Ozon : "La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits". Lapsus dévastateur. Révélateur aussi sans doute.
Révélateur des paradoxes profonds qui caractérisent Philippe Barbarin. Un homme d’Église soucieux de donner à voir le nouveau visage d’une hiérarchie catholique dynamique et innovante, porteur d’un discours volontariste auprès des fidèles sur une foi décomplexée, et ambitieux dans la volonté de jeter des ponts entre communautés. Mais dans le même temps, enfermé dans la certitude d’avoir raison, emprisonné dans la défense d’une Institution écrasante, anachronique et autarcique, plus confiant dans le droit canonique que dans le droit civil, et d’une surdité coupable à entendre la douleur d’enfants devenus hommes victimes d’actes pédophiles.
En novembre dernier, le cardinal Barbarin avait reconnu dans une interview à Radio Notre-Dame avoir "beaucoup changé" sur ce sujet. "Quand j’entendais parler de ces trucs-là y a quinze-vingt ans, je me disais: c’est affreux, c’est indigne, c’est une trahison de ces prêtres dans leur vocation d’avoir fait des choses comme ça", avait-il déclaré, avouant qu’à l’époque il ne "pensait pas directement aux gamins". Trop tard.
Une surdité dont, ironie du sort, l'archevêque de Lyon est frappé aujourd’hui au sens physique du terme. Après un cancer de la prostate et un triple pontage, sa santé faiblit et il se retrouve face à la défiance de ses ouailles. Il y a quelques semaines, dans un TGV qui le transportait de Lyon à Paris, un passager lui a craché dessus. Sans doute l'exégète de l’Évangile qu'il est, en a-t-il eu une interprétation christique. Reste que, malgré le soutien apparent du pape, et même s'il aime le faire réellement dans les rues lyonnaises lors des cérémonies de Pâques, le cardinal Barbarin porte désormais seul sa croix. Mais cette fois-ci, le chemin de la rédemption sera long.