Saint-Étienne: le 25 octobre 1947, un avion militaire s’écrasait sur les flancs de la Métare

Récit d’une journée dramatique où la ville même
de Saint-Étienne a été sauvée par les aviateurs perdus.

Samedi 25 octobre 1947. L’avion de l’Institut géographique national (IGN) s’apprête à partir de l’aéroport de Marignane dans les Bouches-du-Rhône. C’est un Siebel NC 701, une marque allemande, immatriculé F-BAOQ. A Saint-Étienne, à des centaines de kilomètres de là, un nouveau maire va être élu. Henri Muller, choisi à la Libération en août 1944, cède sa place. Face aux communistes, Alexandre de Fraissinette, surnommé le « baron », rescapé des camps nazi, est sur le point de l’emporter dans un climat tendu vis-à-vis de ses adversaires communistes. A l’opposé de cette tension, la météo bien fraîche. Il pleut depuis la veille et le ciel est bas sur les contreforts du Pilat comme sur les hauteurs. Le quartier de la Métare est noyé dans la brume. C’est la fin octobre, normal.

Alexandre de Fraissinette, (à gauche) lors d’une cérémonie ultérieur, est élu maire de Saint-Etienne en octobre 1947. Photo archives municipales de Saint-Etienne

Alexandre de Fraissinette, (à gauche) lors d’une cérémonie ultérieur, est élu maire de Saint-Etienne en octobre 1947. Photo archives municipales de Saint-Etienne

Un vol de routine malgré le mauvais temps

A Marignane, Pierre-Claude Belmont vérifie l’appareil, ajuste deux ou trois réglages et fait le plein de kérosène. Belmont fait partie de l’IGN et, avec cinq collègues, s’apprête à rentrer en région parisienne pour le week-end. André Lesure et Belmont n’auraient pas dû être du voyage, ne faisant pas partie de l’équipe. Mais venus en tournée d’inspection, ils profitent de l’avion pour rentrer chez eux. Le reste de l’équipe part du sud de la France où elle a terminé une mission photographique. La destination est Creil, au nord de Paris. La prochaine mission les verra prendre la direction de l’Afrique du nord.

Les six hommes rentrent donc à la maison pour le week-end. Outre Belmont, 40 ans, et Lesure, 32 ans, l’équipage est composé du lieutenant et pilote Robert Millet, 29 ans, du navigateur Marc Le Bras, 25 ans, du mécanicien de bord Roger Panenc, 27 ans, et du photographe Casimir Corniglion, 38 ans. A Marignane, la météo est bonne, le ciel bleu et dégagé. Les prévisions semblent plus maussades en direction du nord mais les hommes en ont vu d’autres. Un vol de routine. Pilote et passagers montent à bord à 14 heures, l’avion passe devant la tour de contrôle à 14h06. Il décolle douze minutes plus tard, à 14h18. Plus personne ne les verra vivant... Le début du trajet se déroule normalement. Les membres de l’équipage doivent converser, rire, s’apostropher, dormir ou observer les paysages bien plus bas à terre. Comme d’habitude. L’avion remonte la vallée du Rhône, passe Montélimar puis prend à l’ouest en direction Paris.

Problème à bord

La suite de l’histoire n’est que suppositions… L’aérodrome de Bron reçoit un appel de détresse de Lebras : un problème est survenu en plein vol, à quelques kilomètres au sud de Saint-Étienne. Le lieutenant Millet décide de rallier l’aérodrome de la banlieue lyonnaise pour se poser en urgence. Changement de cap. L’équipage est désormais au-dessus de la vallée du Gier. Mais Bron est trop loin, impossible d’y arriver. Impossible d’atterrir dans la vallée, Le Bras le sait. Après 2 à 3 minutes, Millet choisit de retourner sur ses pas. Il faut trouver le moyen d’atterrir du côté de Saint-Étienne. Il est environ 15 heures, Eustache Cizeron travaille dans un champ avec son père à la Côte sur la colline de la Métare, juste à côté des lignes à haute tension. Un bruit dans le ciel leur fait lever la tête : un avion. Le moteur a des ratés, il s’arrête puis repart.

Photo Delcampe

Photo Delcampe

« Une boule de feu »

Millet et Le Bras cherchent un terrain pour atterrir en urgence. La brume est à 600 mètres d’altitude, la colline de la Métare est noyée, l’avion pris au piège. Non seulement l’appareil est en perdition mais le pilote et son navigateur ne voient rien, coincés, ils le savent, entre une ville et un massif montagneux. Les aviateurs survolent de près les maisons de la Côte. « Il volait bas et semblait perdu » raconte un témoin. L’avion sort un moment du brouillard. Millet voit l’usine de la Scemm, des maisons, la ville de Saint-Étienne. Il vire sur le côté pour éviter la ville et ses habitants. L’avion, qui a perdu beaucoup de vitesse, descend et ne répond plus.

« Le moteur ne tournait pas rond », témoigne un ouvrier d’une usine voisine. Un sifflement comme le bruit de la chute d’une bombe transperce le brouillard. L’aile droite accroche un arbre dans la manœuvre. L’avion pique du nez, la catastrophe est inévitable. Un voisin confie à la presse de l’époque : « Un bruit mat, puis une grande flamme qui jaillit et l’avion flamba en un instant ». Renée Gré, 14 ans à l’époque, témoignera plus tard : « Tout est allé très vite. J’ai vu passer une grande masse au-dessus de la maison. J’ai couru à l’intérieur et au même moment, il y a eu comme une grosse boule de feu dehors. » L’équipage militaire s’écrase à la Côte, dans le champ de Jean Brenier, à deux pas du Rond-Point et du cours Fauriel.

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Photo archives municipales de Saint-Etienne

Six morts, aucun survivant

Le kérosène s’est embrasé et l’avion comme ses occupants ne sont plus qu’une carcasse carbonisée. Les voisins et les ouvriers de la Scemm se précipitent. Il n’y a plus rien à faire. Prévenus, les policiers, les gendarmes, les pompiers arrivent cinq minutes à peine après le crash. Tout autour, dans le pré, des paquets de cigarettes, des vêtements, un parachute maculé de boue, des jouets et des chaussures de femme, sûrement ramenés pour les fêtes de Noël. L’identification des victimes sera difficile. Les corps sont prisonniers dans la carcasse métallique carbonisée. Le spectacle est terrible. Il n’y a aucun survivant. Un témoin croit avoir vu un homme tenter de sauter en parachute. C’est un membre de l’équipage éjecté de la carlingue au cours de l’accident.

Le préfet Faugère se rend sur les lieux. Une chapelle ardente est installée à l’hôpital de Bellevue. Les enquêteurs identifient deux corps au cours du samedi après-midi : Corniglion et Le Bras. Le nouveau maire, Alexandre de Fraissinette vient sur le lieu de l’accident le dimanche matin. Dans la journée, plusieurs centaines de Stéphanois passent à leur tour. La carcasse est gardée par un détachement de chasseurs d’Afrique. Ce jour-là, Panenc, Millet et Belmont sont identifiés. Lesure le sera le lendemain. L’office religieux, les cercueils recouverts du drapeau national, est célébré le mardi, à 10 heures, à l’hôpital de Bellevue. Les corps sont rapidement rapatriés sur Paris.

Le square des Six aviateurs

Le parc de l’Europe est aménagé une dizaine d’années plus tard. Une stèle est inaugurée en octobre 1993 un peu plus haut, à proximité du centre commercial de la Métare. Le square des Six aviateurs rend hommage à la mémoire des militaires de l’IGN qui ont péri un samedi de brouillard loin de chez eux mais qui, par leur manœuvre désespérée, ont sauvé la vie de dizaines ou de centaines de Stéphanois, d’une catastrophe aérienne encore plus tragique.