LE MYSTERE
DE LA DISPARITION D'ESTELLE MOUZIN
Estelle Mouzin disparaît le 9 janvier 2003. Elle a 9 ans et rentre de l'école à Guermantes, en Seine-et-Marne, lorsqu'on perd sa trace.
Pourtant, dès sa disparition, une information judiciaire pour "enlèvement et séquestration de mineur" est ouverte à Meaux.
D'importantes recherches sont entreprises par les enquêteurs. Plus de 130 militaires sont mobilisés dans le village de Guermantes et aux alentours. Une brigade cynophile, une brigade équestre et un hélicoptère sont déployés.
Mais aucun corps ni indice ne sont retrouvés.
Les jours qui suivent la disparition de la jeune Estelle sont mouvementés. On ne retrouve pas la fillette. L'inquiétude grandit.
Une photo de son visage est placardée dans tout le secteur et même partout en France. En vain...
" On est face au vide total "
C'est ce que déclare le père d'Estelle, Eric Mouzin, un mois après la disparition de sa fille. A l'époque, il se confie à nos confrères de France 2. Regardez :
Le 18 mars, le procureur de Meaux déclare que l'une des "orientations" de l'enquête "est celle d'une personne avec des appétences pédophiles". Il précise toutefois qu'"aucune piste n'est exclue".
Dans les mois qui suivent, les 1 400 habitants du village sont questionnés sur leur emploi du temps, leurs habitations sont perquisitionnées... Plusieurs personnes sont même placées en garde à vue avant d'être libérées, faute d'éléments.
C'est le début d'investigations vaines qui dureront plus de quinze ans.
Une enquête
truffée de fausses pistes
Pendant cette période, pas moins de sept juges d'instruction et trois procureurs ont travaillé sur la disparition d'Estelle Mouzin.
Tous ont ouvert des pistes pour tenter de retrouver la victime ou l'auteur de sa disparition.
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1. Le conducteur de la camionnette
Le 24 juin 2003, soit plus de cinq mois après la disparition, le procureur distribue le portrait-robot d'un "témoin très important" et des photos d'un véhicule utilitaire blanc.
Une fillette de l’école d’Estelle a dit avoir été importunée par cet automobiliste trois semaines avant les faits.
La piste n°1 ne mène à rien.
2. Michel Fourniret
En juillet, les enquêteurs de Versailles disent étudier le dossier du pédophile Michel Fourniret. "L'ogre des Ardennes" vient d'être arrêté en Belgique après la tentative d'enlèvement d'une fillette.
A l'époque, c'est "une piste parmi tant d'autres" selon les enquêteurs. D'autant plus que Fourniret donne un alibi : il déclare qu'il était en Belgique le 9 janvier 2003. Il aurait même passé un coup de fil. Les investigations sur les relevés téléphoniques du suspect le prouvent. Sa femme, Monique Olivier, confirme l'alibi. La piste Fourniret est refermée.
3. Un repris de justice
Presque un an après la disparition d'Estelle Mouzin, le 16 décembre 2003, les enquêteurs ratissent large pour retrouver l'agresseur présumé de la fillette.
Dans toute la France, 75 personnes condamnées depuis vingt ans pour agression sexuelle de mineur ou enlèvement d’enfant sont entendues. Sans résultat.
4. Un trafiquant de drogue
En mai 2004, un homme et plusieurs de ses proches sont arrêtés dans l’Oise et la région parisienne. Connu de la police pour des trafics de cannabis, l'homme habitait Guermantes lors de la disparition d'Estelle Mouzin. Son déménagement dans l'Oise, quelques jours seulement après la diffusion du portrait-robot du kidnappeur présumé (la piste n°1), a éveillé les soupçons de la police.
Finalement, l'homme a expliqué son brusque déménagement par une volonté d'échapper à des dealers auprès de qui il s'était endetté.
5. Un restaurateur de Seine-et-Marne
Le 31 janvier 2008, un restaurant de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne) est perquisitionné et dix personnes interpellées. Selon un journaliste indépendant, un des employés aurait confié avoir découvert un squelette de jeune fille à l'occasion de travaux avant de le couler dans une dalle de béton.
Des fragments d'ossements ont bien été découverts dans la dalle de béton, mais il s'agissait de restes d'animaux. La police évoque rapidement une "fausse piste". Encore une fois.
6. En Estonie
Un an plus tard, alors qu'Estelle est portée disparue depuis déjà six ans, son père Éric Mouzin évoque une piste estonienne. Et ce, du fait de la ressemblance entre sa fille et une adolescente en photo sur un site pornographique estonien.
Cette piste sera finalement écartée. Les enquêteurs constatent qu'il s'agit d'une photo ancienne et que l'âge de la jeune fille sur le cliché ne peut donc pas correspondre à celui d'Estelle Mouzin.
7. Un détenu parisien
Le 9 novembre 2011, un détenu de la prison parisienne de la Santé est placé en garde à vue. Âgé de 64 ans et connu pour des viols de mineurs, il a été mise en cause par un codétenu.
L'homme a bien des points d'attache en Seine-et-Marne, où habitait Estelle. Mais il est finalement relâché après son audition qui l'exempte de toute implication dans la disparition d'Estelle Mouzin.
8. Un agent municipal retrouvé pendu
Trois ans plus tard, en janvier 2014, un ancien agent du service voirie de Bussy-Saint-Georges, ville proche de Guermantes, sort du silence. Il revient sur le soir où la fillette a disparu. « Ce soir là, on a salé les rues jusqu’à 2 heures du matin et le lendemain, l’un des agents d’astreinte a dit : "La nuit dernière, vers 2 heures, j’ai vu Seddik M. qui traînait à la ferme de la Jonchère, près d’une benne à ordures". Ça m’a étonné car il n’était pas d’astreinte…"
Devenu SDF, l'ancien agent municipal Seddik M. s'est pendu le 24 septembre 2009. La piste ne mène à rien.
9. Nordahl Lelandais
Enfin, en 2017, vient l'hypothèse de l'implication de Nordahl Lelandais, soupçonné d'avoir enlevé la petite Maëlys dans la nuit du 26 au 27 août 2017 lors d'une fête de mariage à Pont-de-Beauvoisin en Isère.
Mais, en 2003, année de la disparition d'Estelle Mouzin, Nordhal Lelandais de trouvait au camp militaire de Suippes, dans la Marne, à environ 150 kilomètres de Guermantes. La piste de l'ancien maitre-chien est refermée.
La colère
d'une famille meurtrie
Depuis la disparition de sa fille, Eric Mouzin et toute sa famille n'ont jamais baissé les bras et cherchent toujours la vérité.
Les nombreuses investigations qui ne mènent à rien semblent les avoir épuisés. Et la fatigue laisse place à la colère en 2018.
Le 13 janvier 2018, cela fait quinze ans que la petite Estelle Mouzin n'est pas rentrée au domicile familial. Son père, qui se bat sans relâche pour savoir ce qui est arrivé à la benjamine de ses trois enfants, participe à une marche silencieuse organisée à Guermantes en hommage à Estelle.
Là, il déclare "avoir été pris pour un con". Il accuse la police d'avoir "renoncé à chercher" sa fille. Il estime que "l’État est responsable de la désorganisation des services" et décide donc de l'attaquer pour "faute lourde"
" Les moyens ne sont pas donnés au juge : entendre que ça n’avance pas car il n’y a pas de greffier ou qu’on ne sait pas utiliser un scanner, c’est insupportable "
En 2019, un 7e juge d’instruction (et un 8e co-saisi) reprennent le dossier en main. Pour Eric Mouzin, c''est désormais une certitude : ces quinze dernières années, la justice n'a pas fait son travail correctement.
"On est en train de ramer pour compenser ce qui n’a pas été fait en temps utile, quand le dossier était encore frais, déclare-t-il à l'époque. C’était le bazar dans les scellés, les analyses ADN. La reprise en main du dossier ne fait que confirmer l’absence de travail. Ça nous conforte dans la plainte."
"L'ogre des Ardennes"
a-t-il fait disparaître
Estelle ?
La piste de Michel Fourniret, testée puis refermée
La police le met hors de cause car sa femme, Monique Olivier, lui fournit un solide alibi. Elle affirme qu'il était avec elle, en Belgique, le jour de la disparition d'Estelle Mouzin.
L'année d'après, celui qu'on surnomme "l'ogre des Ardennes" est condamné à perpétuité pour sept meurtres commis en France et en Belgique.
La famille Mouzin et ses avocats insistent pour que la police judiciaire rouvre la piste Fourniret. Mais, le 7 octobre 2013, l'expertise de milliers de poils et cheveux dans la voiture du tueur en série ne permet pas de retrouver de trace d'ADN de la fillette disparue.
C'est un nouveau coup dur pour la famille.
Le tueur en série met le doute avec des "aveux creux"
En 2018, Michel Fourniret avoue le meurtre de deux jeunes femmes : Marie-Angèle Domece et Joanna Parrish, toutes deux portées disparues depuis les années 1990 dans l'Yonne.
Les enquêteurs en profitent pour interroger Fourniret sur son implication, ou non, dans la disparition de la petite Estelle.
Il affirme n"avoir "rien à voir avec l’affaire Mouzin". Mais il déclare quand même que la disparition de la fillette est "un sujet à creuser", estimant avoir le "cul merdeux" dans cette affaire.
Pour l'avocate de la famille Mouzin, Corinne Hermann, ce sont des "aveux en creux".
Quelques mois plus tard, des fouilles sont menées chez l'une des anciennes épouses de Fourniret, à Clairefontaine dans les Yvelines.
S'ensuivent des fouilles sur un ancien terrain du tueur en série dans les Ardennes. Elles ne donneront rien.
Monique Olivier fait tout basculer
Le 21 novembre 2019, coup de théâtre ! L'ex-épouse et complice du tueur en série, Monique Olivier, contredit l’alibi fourni par Fourniret dans l'affaire d'Estelle Mouzin.
Elle qui a toujours affirmé que son mari était avec elle en Belgique le jour de la disparition de la jeune fille, change de version. Elle assure désormais que son mari n'était pas là.
Et l'appel que Michel Fourniret aurait passé à son fils le 9 janvier 2003 depuis son domicile ? Monique Olivier avoue qu'elle en est l'auteure. Son mari lui aurait demandé de le passer. Elle ajoute qu'Estelle Mouzin était "tout à fait le genre de jeune fille qui pouvait satisfaire" son ancien mari.
Première mise en examen dans l'affaire Mouzin
Six jours après les aveux de Monique Olivier, Fourniret est mis en examen pour "enlèvement et séquestration suivis de mort".
"Il est fort possible même très probable que j’ai été l’auteur de cette disparition mais je ne sais pas quoi vous dire", déclare-t-il, assurant que rien ne fait "tilt" dans sa tête lorsqu’on le confronte à une photo de la fillette.
" Je vous exhorte à me considérer comme coupable "
"Dans l’impossibilité où je suis de vous dire 'Oui, je suis responsable de sa disparition', dans cette impossibilité là, je vous exhorte à me considérer comme coupable", ajouter le meurtrier en série qui assure être "un joueur d’échecs".
Interrogée le 24 janvier 2020, son ex-épouse l'accuse à nouveau en déclarant que Michel Fourniret "a bien tué Estelle Mouzin". Elle le soupçonne même d'avoir réalisé des réperages dans les jours précédant la disparition.
"L'ogre des Ardennes" reconnaît les faits
Quelques mois plus tard, le 7 mars, le parquet de Paris déclare que l'homme de 77 ans ""a reconnu les faits".
La veille, durant dans le bureau de la juge d’instruction Sabine Kheris, devant une photo de la fillette, le tueur en série a déclaré : "Il est possible que cette image m’indispose (...) et je reconnais là un être qui n’est plus là par ma faute".
" Je n'accorde aucun crédit aux déclarations de Michel Fourniret "
Pour le père de la victime, comme pour la justice, ce n'est pas suffisant : "Je n’accorde aucun crédit aux déclarations de Michel Fourniret, dit Eric Mouzin auprès de nos confrères du Figaro. Pour moi, ses aveux sont vides de sens tant qu’il n’y aura pas des éléments de preuve. »
A la recherche du corps d'Estelle
Pour tenter de retrouver le corps de la fillette, des fouilles sont planifiées dans la propriété de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes dans les Ardennes. L'épidémie de coronavirus les retarde. Mais elles commencent finalement le 22 juin 2020 dans cette maison dont a hérité Fourniret en 2003, année de la disparition d’Estelle.
Des gendarmes sont déployés autour d'une ancienne propriété de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes, dans les Ardennes, pour y effectuer des fouilles pour tenter de retrouver le corps d'Estelle Mouzin, disparue en 2003 #AFP @ThomasBernardi5 pic.twitter.com/BV2lESb2eo
— Agence France-Presse (@afpfr) June 22, 2020
Durant sa dernière audition, le tueur en série n'a pas dévoilé l'endroit où il aurait caché le corps.
Il aurait toutefois confié à Sabine Kheris qu'il aurait pu amener la fillette dans cette maison : "C'est tout à fait pertinent (...) Pas du tout improbable seulement il faudrait mettre des images dessus et ce n'est pas évident je suis paumé", aurait confié l'homme qui assure souffrir de problèmes de la mémoire.
Les fouilles ont commencé le 22 juin dans cette propriété des Ardennes qui n'a jamais fait l'objet d'investigations auparavant et qui appartient à la soeur du suspect.
Elles ont continué les jours suivants dans les autres propriétés du tueur en série et notamment au château du Sautou, près de Sedan. Là où deux corps ont été découverts en 2004.
Officiellement, ces recherches n'ont malheureusement rien donné. Mais, deux mois plus tard, Monique Olivier a fait de nouvelles révélations.
Elle a affirmé que son ex-mari avait kidnappé Estelle Mouzin le 9 janvier 2003 et qu’il l’avait emmenée dans la maison de Ville-sur-Lumes "pour la séquestrer" et "qu’il l’avait violée et étranglée".
La complice du tueur en série n'aurait "pas directement assisté aux faits. Elle aurait vu Fourniret revenir le 10 janvier à 4h30 du matin, les vêtements sales, il lui aurait fait ces confidences."
Un ADN retrouvé sur un matelas ?
En revanche, selon l'avocat de Monique Olivier, l'ADN de la fillette a été retrouvé sur un matelas saisi dans la maison des Ardennes.
Le matelas a été réanalysé récemment, la juge d'instruction ayant demandé à ce que les traces retrouvées sur l'objet soit comparées avec l'ADN d'Estelle.
Toutefois, comme l'a déclaré l'avocat de la complice de Fourniret : "Il reste des investigations à mener pour découvrir où est le corps d’Estelle Mouzin".
En l'absence de corps, le mystère reste donc entier. Pour l'instant
L’affaire Mouzin a accéléré la mise en place de l’« Alerte enlèvement »
Une musique anxiogène, un bandeau noir solennel qui défile et une photo : l’Alerte enlèvement diffusée à la radio, à la télé ou dans les espaces publics marque les esprits.
"Cette vraie grande évolution", on la doit à Eric Mouzin, affirmait son conseil, Corinne Herrmann, dans nos colonnes en 2017. Selon cette spécialiste des grandes affaires non résolues, le père d'Estelle "l'a importée des États-Unis".
Dès l'année de la disparition d'Estelle, la mobilisation de la famille et des proches de la jeune disparue donne naissance à l'association Estelle.
Les opérations très médiatisées, menées par l'association qui réclame la mise en place de l'alerte enlèvement, secouent l'opinion publique. Le projet est lancé.
Alors que le dispositif est encore en phase de test, il fait ses preuves dès novembre 2005 en aidant à retrouver une fillette de 6 ans enlevée dans le Maine-et-Loire. Elle sera découverte vivante, abandonnée dans un lotissement, mais malheureusement victime d’un couple qui l’a séquestrée et qui a abusé d’elle.
Le dispositif a été mis en place en France en février 2006. Depuis, il a été déclenché 24 fois. A 23 reprises, les enfants ont été retrouvés.
Le 8 février 2020 à 23h le plan était déclenché après l’enlèvement de Vanille, une fillette âgée d'1 an à Angers. Le dimanche 9 février, le procureur de la République d'Angers annonçait que la fillette a été retrouvée morte.