Le tramway,
une histoire électrique

Le tramway stéphanois de 1881 à 2019
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Collection privée

Collection privée

« Nous avons conscience d’avoir forgé un outil moderne destiné à doter Saint-Étienne de transports aussi puissants que ceux de n’importe quel grand centre industriel. […] La multiplicité des moyens de communication en effet, qu’est-ce en somme ? Sinon des commodités nouvelles offertes aux hommes dans leurs rapports mutuels […] Il n’y a pas que les échanges de marchandises qui soient facilités, il y a aussi les contacts d’idées qui deviennent plus rapides et plus fréquents. »

Allocution du maire de Saint-Étienne à l’occasion de l’inauguration des tramways électriques, le 10 novembre 1907 La Tribune Républicaine,
11 novembre 1907

Incertitudes entre traction à vapeur
et traction électrique

Le conseil municipal de Saint-Étienne annonce en mai 1895 que « le courant qui circule par fil aérien est un système qui a fait ses preuves ». Pourtant il n’y a pas de substitution radicale de la traction électrique aux machines à vapeur. Des lignes électriques sont construites en complément, voire en concurrence avec celles qui existent déjà. Les autorités publiques hésitent sur la solution à retenir.

Même si la Compagnie des chemins de fer à voie étroite (CFVE) est solidement implantée, les transports urbains demeurent encore épars. M. Favre, correspondant de la compagnie des chemins de fer PLM, s’intéresse dès 1889 à l’établissement de nouvelles voies. Il déplore « qu’avec 133 443 habitants, Saint-Étienne n’ait qu’un axe principal de 6km environ, ne desservant sur son parcours qu’une ligne droite ».Un nouveau concurrent pour la CFVE ?

M. Favre demande une concession d’un réseau urbain de tramways dans le canton sud-est. La traction serait a priori assurée par des chevaux mais la traction mécanique est néanmoins envisageable.

Dans ces dix dernières années du XIXe siècle, la CFVE doit faire face à d’importantes dépenses de consolidation. Les rails Demerbe installés initialement sur l’ensemble du réseau ne résistent au trafic intense auquel ils sont soumis. La voie ferrée est entièrement reconstruite avec des rails Marsillon entre 1886 et 1898. La CFVE n’est pas en mesure d’ouvrir de nouvelles voies secondaires, elle accepte un concurrent.

Collection privée

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Plusieurs lignes pour les voyageurs
mais pas pour les marchandises

M. Favre rencontrant quelques difficultés notamment financières dans l’élaboration de son réseau, fait appel à des constructeurs d’installations électriques isérois. Ils lui proposent un système de traction électrique « grâce à des câbles suspendus à des poteaux placés sur les trottoirs » vite accepté.

Le projet prévoit plusieurs lignes pour voyageurs et marchandises : Dorian / Rond-Point, Châteaucreux / La Rivière avec un embranchement sur Bellevue, Dorian / Badouillère, embranchement industriel de Bérard, embranchement industriel de Villeboeuf et embranchement industriel de la Brasserie Nationale.

Après différentes tractations avec la municipalité, la SA des Tramways électriques (TE) est née. Elle construira ses lignes pour voyageurs mais, malgré les nombreuses relances de la municipalité, les embranchements industriels ne seront jamais mis en place.

Le tram bleu

Un dépôt est construit rue Thiollière pour « recevoir les dynamos génératrices, les machines à vapeur et les groupes de chaudières destinés à les alimenter ». A cette époque, on ne peut que produire soi-même son électricité.

Les TE sont autorisés, à partir du 17 avril 1897, à utiliser certains tronçons : Dorian / Rond-Point, Châteaucreux/ Rivière. Le 20 avril suivant, on procède à l’inauguration officielle. Les nouvelles voitures portent une livrée bleue pour les différencier de celles de la CFVE qui sont vertes.

Les gens se battent pour monter dans les voitures le jour de l’inauguration.

Collection Jean-Paul Rahon

Collection Jean-Paul Rahon

Inauguration des tramways électriques de la CFVE, départ du train de Bellevue Forez-Auvergne-Vivarais, 1907, n°22

Inauguration des tramways électriques de la CFVE, départ du train de Bellevue Forez-Auvergne-Vivarais, 1907, n°22

Inauguration des tramways électriques de la CFVE, réception à La Terrasse Forez-Auvergne-Vivarais, 1907, n°22

Inauguration des tramways électriques de la CFVE, réception à La Terrasse Forez-Auvergne-Vivarais, 1907, n°22

L’électricité règne en maître et dynamise le réseau

Une pétition déposée en préfecture le 15 janvier 1897 comportant près de 1100 signatures indique qu’un « nouveau réseau favoriserait l’expansion du commerce en affirmant l’importance de notre cité et son progrès ». La traction électrique est selon le mot de L’Illustration moderne « la locomotion du jour ».

Ces nouvelles motrices électriques obligent la CFVE à modifier son système de traction dès 1899 et incitent à de nouvelles extensions du réseau.

Dès le 15 avril 1908, la traction à vapeur est totalement supprimée. Comme dans la plupart des villes françaises acquises au tramway à fil aérien, c’est la compagnie Thomson-Houston qui équipe les trams de la CFVE en dynamos génératrices. Désormais, les deux réseaux CFVE et TE totalisent plus de 80 km.

Lors de l’inauguration de 1907 de la CFVE, le maire de la Ricamarie déclare : « Nous sommes heureux et fiers d’accueillir avec les serviteurs fidèles et zélés de la démocratie, les hommes d’action et de devoir à qui nous devons les perfectionnements qui améliorent et embellissent notre vie. » (La Tribune Républicaine, le 11 novembre 1907)

Des câbles difficiles
à gérer

La commission d’enquête indique dès le 27 novembre 1903 que l’implantation des poteaux à trolley entre les places Marengo et Badouillère est problématique et qu’une rupture de câble aurait des conséquences catastrophiques dans cette partie de la ville où la foule est intense. Par ailleurs, on estime que les toiles d’araignées aériennes que forment les fils sont disgracieuses à la belle époque de l’architecture. « Le centre, seul endroit de Saint-Étienne qui attire quelque attention, serait fort déprécié et enlaidi s’il était barré par les réseaux de fils de trolley », précise cette même commission d’enquête

Des atouts aux tramways électriques...

Les voitures disposent d’un confort inégalé jusque là.

« L’absence de fumées souvent inopportunes nous fera oublier l’ancienne machine à vapeur et admirer la marche silencieuse des trains mus désormais par une force mystérieuse », se réjouit M. Dubouchet, maire du Chambon-Feugerolles. Plus de cahots et un éclairage électrique qui se substitue aux antiques lampes à pétrole.

Même si les voitures demeurent rudimentaires, « le tramway rapide et à bon marché relatif, c’est le moyen pour l’ouvrier qui peine durement toute une semaine, de se transporter commodément à la campagne où il respire un air pur. C’est pour les habitants des environs, la possibilité de se rendre en ville où les sollicitent tant d’intérêts divers. C’est pour les uns et pour les autres, des occasions plus nombreuses de confronter leurs aspirations, d’apprendre à mieux se connaître, partant à s’estimer davantage » indique M. Plantevin, maire de Saint-Étienne.

... et des inconvénients

L’administration des Postes et Télégraphes s’inquiète des parasites causés aux téléphones par les « courants vagabonds » et les ingénieurs des Ponts et Chaussées signalent des effets d’électrolyse pouvant endommager les canalisations souterraines.

Les usagers se plaignent du déraillement fréquent des perches entraînant des retards et du nombre insuffisant de voitures. « La compagnie empile des voyageurs dans les wagons. L’entrée et la sortie s’effectuent très difficilement, très lentement. De là, des retards considérables qui s’opposent au croisement régulier des trains à leurs points fixes » selon la pétition des propriétaires et commerçants des rues de Paris, de Foy et de Gambetta. Il faut rajouter que la circulation des tramways est dépendante des aléas climatiques : interrompue en cas de neige et de glace... ce qui est plutôt fréquent dans la région.

Les classes ouvrières s'émancipent avec le tram

Vers 1914, le tramway s’est imposé dans le paysage stéphanois. Ces déplacements facilités ont engendré des besoins nouveaux et conduit à un accroissement du trafic. En 1913, la CFVE véhiculerait environ 24 millions de passagers annuellement et la TE 5 millions.

Le tramway met à la portée des bourses modestes un plaisir autrefois réservé aux plus riches : la balade. La ligne qui mène au Rond-Point, ouverte en 1897, est très prisée pour gagner rapidement la campagne. En 1908, un ingénieur du contrôle remarque que « le dimanche en particulier, il y a de très nombreux voyageurs accompagnés de bicyclettes qui s’emparent des voitures et ne laissent plus aucune place aux usagers ordinaires ». Les recettes de la CFVE progressent de manière significative à la belle saison avec l'arrivée de la société de loisirs.

Des trains de nuit sont autorisés dès 1883. La vie culturelle avec le théâtre inauguré en 1853 pouvant accueillir 1356 spectateurs ou des cafés-concerts, avec des cabarets qui animent la capitale de la chanson prolétarienne, justifie la circulation des trams. Néanmoins ce service est déficitaire, les voitures ne transportent des voyageurs que dans un sens puis rentrent vides au dépôt.

Les distances ne sont plus un handicap au champ d’activité.

Faillite des « bleus »

L’impossible équilibre budgétaire de la TE se traduit par une multiplication des déficits malgré les relèvements des tarifs successifs. La baisse de la fréquentation est de plus en plus marquée. L’augmentation du coût de la vie réduit inéluctablement le pouvoir d’achat des Stéphanois. En décembre 1929, la Ville rachète la compagnie des TE qui devient la Régie des tramways électriques, dont elle confie l’exploitation à la CFVE le 1er janvier 1930.

La CFVE enregistre également une baisse de 8% de sa fréquentation en 1926 et un manque à gagner de 55 000 francs par mois. La faillite de la TE ne redore pas le blason du tramway, déjà très menacé par l’automobile.

« Le tramway a-t-il fait son temps ? »

C'est la question posée fin 1929 dans le bulletin mensuel des tramways stéphanois. Il commence à se trouver relégué au rang des véhicules de locomotion désuets. Louis-Joseph Gras, historien, écrit « qu’il y a tellement d’automobiles que Saint-Étienne est dotée en 1925 d’agents à bâtons blancs pour assurer la circulation entre Marengo et Badouillère ». On compte 72 taxis en 1927 dans l’agglomération stéphanoise. Face à cette hausse exponentielle du trafic, on recense un nombre d’accidents élevé : 135 en 1926 contre 68 en 1922. On décide donc de mettre les principales artères du centre en sens unique. Au cœur de cette évolution technique, le tramway apparaît encombrant, trop lent et cause d’embouteillages. Son avertisseur sonore devient inutile dans le tohu-bohu de la cité. Aussi, lui substitue-t-on une sirène puissante à n’utiliser qu’exceptionnellement pour éviter un accident.

Condamné

Fin 1931, la CFVE traverse une grave crise. Des transporteurs routiers viennent concurrencer les trams par un service de cars. Avec l’accord de la municipalité, ils disposent de nombreux points d’arrêt en centre-ville.

Certaines lignes de tramways sont en mauvais état. Le 7 janvier 1939, un arrêté ministériel déclasse les lignes suburbaines. En échange, la CFVE détient le monopole des transports urbains, soit 50 km au lieu des 90 km de 1930. Des propositions sont avancées pour moderniser le réseau CFVE, on envisage déjà de ne conserver que la ligne Bellevue / La Terrasse. Le tramway est condamné. Durant les années de guerre, on s’empresse de remettre en service le tram pour ensuite les supprimer progressivement au profit des trolleys.

Dans les années 1950-60, la presse, les clubs d'automobile et les usagers sont très critiques à l’égard de la dernière ligne de tram. Chacun demande la suppression de ces « antiques guimbardes » qui gênent la circulation, roulent en sens interdit, s’arrêtent en pleine voie, bloquent les automobilistes. Mais Henri Desbarre, directeur général du réseau de la CFVE de 1944 à 1971, s’obstine à démontrer l’utilité du tram qui transporte 25 millions de voyageurs annuellement.

A -25° C, seul le tram fonctionnait !

L’hiver 1956, avec des températures allant jusqu’à -25° C, a vu l’arrêt de la circulation de l’ensemble des transports : l’essence des voitures gelait, les trolleybus glissaient sur le sol verglacé … seuls les tramways continuaient leur service ! Un argument de poids pour la conservation du tram !

« Le secret de la longévité de ce réseau de transport urbain tient à ses défenseurs qui se sont succédés dans le temps, explique Olivier Legrontec, ancien directeur de la STAS. En effet, élus, techniciens, opérateurs du réseau, tous ont compris qu’il fallait adapter le tramway au fil des évolutions du territoire et des besoins de ses passagers ».

Le tramway à la Chaléassière Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8223, Fonds Léon Leponce  

Le tramway à la Chaléassière Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8224, Fonds Léon Leponce

Tramway place de l’Hôtel de Ville, 1955-60 Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8218, Fonds Léon Leponce

Tramway place du Peuple, 1955-60 Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8219, Fonds Léon Leponce

Le tramway à la Chaléassière Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8223, Fonds Léon Leponce  

Le tramway à la Chaléassière Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8224, Fonds Léon Leponce

Tramway place de l’Hôtel de Ville, 1955-60 Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8218, Fonds Léon Leponce

Tramway place du Peuple, 1955-60 Archives Municipales de Saint-Etienne, 5FI 8219, Fonds Léon Leponce

Photo Le Progrès

Photo Le Progrès

Photo Le Progrès

Photo Le Progrès

Inauguration du tramway en site propre, 1978 . Photo Le Progrès

Inauguration du tramway en site propre, 1978 . Photo Le Progrès

Saint-Étienne : une rue, un tram

Après les années 1960 marquées par l’apogée de la ligne aussi bien en terme de nombre de voyageurs que de qualité de service, les conditions de circulation dans les années 1970 se dégradent. Moins 5 millions de voyageurs en 6 ans. L’encombrement du centre-ville entraîne, à la fois, la réduction de la vitesse et de la régularité du tram. Après une expérimentation d’élargissement de la Grand’rue au droit de la rénovation urbaine de Centre-Deux pour séparer le tram de la circulation générale, dès 1975, l’agence d’urbanisme EPURES propose la mise en site protégé de l’ensemble de la ligne. Ce projet se nomme « Saint-Etienne, une rue, un tram ».

L’objectif est de supprimer totalement, sur certains tronçons, le trafic automobile et d’offrir des sections mixtes piéton-tram le long de la grande artère, d’améliorer les liens avec les gares SNCF Bellevue, La Terrasse et la toute nouvelle gare de Carnot. Deux autres objectifs ? Aménager un contournement routier du centre-ville et étendre la ligne au nord et au sud avec l’aménagement de parkings d’échange.

Le tram absorbe le trafic quotidien de 50 000 voitures

Accueilli sans enthousiasme, cet ambitieux projet ne sera approuvé par la municipalité qu’à la fin de l’année 1977. Les travaux commencent en 1981 avec l’aménagement de la place du Peuple et se poursuivront progressivement jusqu’à la fin du siècle.

Le tramway demeure un mode de transport indispensable. Dans les années 1980, on estime qu’il absorbe le trafic quotidien de 50 000 voitures « sans le tramway aux heures de pointe, ce n’est pas 1000 voitures mais 50 000 véhicules qui déferleraient dans la Grand’Rue ce qui rendrait nécessaire la construction d’une autoroute à 4 voies ».