Retour sur plus d'un siècle
de prostitution à Saint-Étienne
Des maisons de tolérances au téléphone rose,
la prostitution a beaucoup évolué en 100 ans.
Elle a aussi cristallisé conflits et frustration
au cœur de la ville.
Les plaintes sont de plus en plus nombreuses : bruits et désordres dans la rue, risque sanitaire, développement de zones dangereuses…
Des «cartes professionnelles»
pour identifier les prostituées
Devant l’extension de la prostitution en ville, le maire Peyret prend un arrêté le 28 mai 1832. Celui-ci prévoit de ficher les filles publiques par la police et de mieux les connaitre à défaut de résoudre le problème.
Les prostituées doivent s’inscrire au commissariat : nom, prénoms, âge, lieu de naissance, domicile. Tout déménagement doit être déclaré. En échange, chaque femme reçoit une carte d’inscription, comme une carte professionnelle en quelque sorte. En cas de problème, on saura où les retrouver.
Les filles libres,
les filles soumises
Les registres prévoient deux catégories
de prostituées.
Les «filles libres» sont indépendantes
et exercent en libéral chez elles.
Les filles de maison ou «filles soumises» travaillent dans une maison de tolérance,
y vivent et sont sous la dépendance du maître
ou de la maîtresse.
Les établissement limitent les débordements
L’ouverture d’une maison de tolérance est soumise à une autorisation municipale et le patron doit tenir un registre du personnel.
Ces établissements facilitent ainsi le contrôle policier et limitent les débordements.
Pour l’ouverture, certaines pièces administratives sont exigées : demande d’autorisation, extrait de naissance et de mariage, extrait du casier judiciaire, certificat de bonne vie et mœurs, autorisation du mari, autorisation du propriétaire des lieux, désistement de la tenancière actuelle.
«La prostitution est une plaie sociale qui ne fait que s’aggraver»
«La prostitution est une plaie sociale qui ne fait que s’aggraver de plus en plus.» Ce sont les mots du maire dans un courrier adressé au préfet en 1902.
La prostitution se répand en ville et c’est un problème social et sanitaire. Officiellement, le nombre de filles inscrites chute : 103 prostituées dans douze maisons et 37 filles libres. Un total de 140. « Mais il s’agit du chiffre officiel, bien en dessous de la réalité », précise le commissaire de police.
Le nombre des établissements clandestins croît
La prostitution clandestine est bien présente. L’officier de police estime qu’environ 500 débits de boissons (la ville en compte environ 5 000) et 300 garnis (sur les 3 000 maisons ou chambres à louer) facilitent la débauche. Avec une moyenne de deux filles, c’est 1 600 femmes qui se prostituent.
Cette clandestinité aggrave les problèmes : au contraire des maisons de tolérance, le nombre des établissements clandestins croît, leur activité échappe à la police et aux autorités sanitaires.
Les garçons de café protestent
Tant et si bien que ce sont les garçons de café qui protestent et signent des pétitions. Ils réclament le renvoi des serveuses dont le succès obère leurs emplois. Une pétition de quatre pages parvient au préfet en novembre 1884.
Les filles sont admises du jour au lendemain et ne doivent comme recommandation que des attraits féminins.
«L’emploi des filles se fait dans des conditions de prix notablement inférieurs aux prix payés par les patrons des établissements sérieux où ne sont employés que des garçons. Les filles sont admises du jour au lendemain et ne doivent comme recommandation que des attraits féminins.»
Les patrons bar deviennent... «policiers»
Pendant ce temps, on s’amuse beaucoup à «L’Escu d’or», place Marengo, à «l’Auberge des Adrets», place du Peuple, au «Café oriental», rue Gérentet, sans parler des brasseries du cours Victor Hugo…
Le maire prend un arrêté le 25 octobre 1898 : les patrons doivent faire leur propre police et surveiller les agissements de leurs serveuses. Cette décision administrative ne semble avoir que peu d’effets…
Entre les garçons de café et les filles, c’est la guerre. Ces dernières créent même un syndicat. Le maire Plantevin prend un arrêté en 1907 : chaque serveuse doit obtenir un certificat, renouvelable tous les 3 ans.
Les problèmes sanitaires
La prostitution expose filles comme clients aux maladies vénériennes extrêmement contagieuses. Par un effet de domino, elles peuvent toucher beaucoup de monde. Une bonne raison pour l’administration communale de surveiller, au moins médicalement, le milieu.
La municipalité prend diverses mesures, comme l’arrêté du 27 septembre 1919, un parmi une longue série. Il porte sur la prophylaxie (ou la prévention) des maladies vénériennes.
Une surveillance médicale hebdomadaires pour les prostituées
Les filles doivent s’inscrire obligatoirement au commissariat et reçoivent en échange une affiche prophylactique qu’elles doivent accrocher en évidence dans leur chambre. Elles doivent être examinées hebdomadairement par les médecins du service municipal de salubrité et parfois à l’occasion de visites inopinées.
Toute femme reconnue atteinte de maladie contagieuse est conduite à l’hôpital par les policiers et y reste jusqu’à la guérison. L’arrêté de 1919 nomme trois médecins chargés de l’inspection sanitaire. Pour quel résultat ? On ne le sait pas.
La prostitution, où à Saint-Étienne ?
La rue de l’Attache-aux-bœufs, un des lieux de prostitution dans le bas du Crêt-de-Roc.
La rue de l’Attache-aux-bœufs, un des lieux de prostitution dans le bas du Crêt-de-Roc.
Le passage Saint-Barthélémy, un des lieux de prostitution dans le bas du Crêt-de-Roc.
Le passage Saint-Barthélémy, un des lieux de prostitution dans le bas du Crêt-de-Roc.
Des maisons de tolérance occupaient les 1, 3, 5, 7, 9, 11 et 13 rue Saint-Pierre.
Des maisons de tolérance occupaient les 1, 3, 5, 7, 9, 11 et 13 rue Saint-Pierre.
La police dresse, en 1876, 19 procès-verbaux pour racolage rue Neuve, petite rue Saint-Jacques et rue Froide. Les maisons de tolérances trop ouvertes sur la rue et les clients posent problème.
À la demande du maire, François Chapelle et Victor Lecreux,
deux conseillers municipaux, étudient la question en 1878.
Pour eux, il faut un nombre limité de maison de tolérances fermées (l’activité est opaque vue de l’extérieur), installées dans les rues les moins fréquentées avec une prise en charge sociale et médicale des filles.
La prostitution a pris possession des quartiers les plus fréquentés de la ville
Les autorités municipales et préfectorales préféreraient voir
les maisons de tolérance loin du centre-ville et des quartiers fréquentés.
Le centre ville est largement concerné dans le bas du Crêt-de-Roc
et dans les secteurs de la place du Peuple et du cours Victor Hugo.
C’est l’avis du commissaire de police dès 1871.
« La prostitution a pris possession des quartiers les plus fréquentés de la ville. Il importe donc de la reléguer dans les parties excentriques de la localité. » Où ? On parle du pré Palluat, vers la place Jacquard, vers 1890.
Des arrêtés sont pris pour l’éradiquer du quartier chaud traditionnel du bas du Crêt-de-Roc, proche des abattoirs et des travailleurs : rue de l’Attache-aux-Bœufs, rue Raisin, rue de la Vigne…)
Et si on cachait les prostituées sur les flancs
du Guizay ?
Si l’abattoir part aux Mottetières, plus au nord
sur la Grand’Rue le 1er octobre 1878,
le commerce du charme reste là.
Des pétitions souhaiteraient envoyer les prostitués sur les flancs du Guizay.
D’autres mesures sont prises pour interdire certaines rues du centre aux filles publiques
(rue de la Bourse, place Grenette…)
La prostitution et les maisons de tolérance deviennent un vrai problème qui exaspère
une partie de la population.
La fin progressive de la prostitution à Saint-Étienne
C’est à la Libération que le problème va être résolu.
Cela commence à Saint-Étienne.
La Révolution a supprimé l’esclavage dans les colonies or, les maisons de tolérance constituent la forme la plus inique de l’esclavage des femmes
Le conseil municipal émet un vœu en faveur de la suppression des maisons de tolérance le 31 janvier 1945.
Parmi les échanges, le communiste, Claude Buard, prend la parole : « La Révolution a supprimé l’esclavage dans les colonies or, les maisons de tolérance constituent la forme la plus inique de l’esclavage des femmes.
Dans la clandestinité, nous avons lutté pour la liberté et le respect de la personnalité humaine. Nous faillirions à notre devoir et à notre tâche si nous n’émettions pas un vote de principe pour la suppression de ces maisons de tolérance qui ravalent la femme au niveau de la bête. »
Le conseil municipal vote avant la loi française
la fermeture des maisons de tolérance
L’Archevêché de Lyon, l’Église réformée de France, la Ligue des familles nombreuses approuvent. Un « groupe de mères de familles et d’enfant » envoient même le message suivant : « Nous venons vous féliciter de la fermeture des maisons de tolérances. Nos maris dépensaient toutes leurs payes. »
Le chef de la police des mœurs, lui, désapprouve ce choix : ses hommes n’auront plus aucun moyen de contrôle et de répression sur cette activité.
Le conseil municipal, avant la loi française, vote le 19 avril 1945, la fermeture des maisons de tolérance, mesure effective le 18 décembre 1945.
La prostitution se tourne vers les salons de massages et Internet
L’interdiction officielle par la loi française arrive un peu plus tard, sous l’impulsion de Marthe Richard.
La conseillère de Paris, elle-même prostituée à l’âge de 16 ans, mène le combat contre les maisons closes.
La loi du 13 avril 1946, dite « loi Marthe Richard », abolit les maisons de tolérance. 1 400 établissements sont fermés dans le pays.
La prostitution devient libre, c’est son organisation et son exploitation (le proxénétisme) qui sont interdits.
À partir de cette date, la prostitution est moins présente mais se déplace ensuite dans les hôtels de passe, les salons de massage, le téléphone rose et Internet.
La tenue d’une maison de débauche est interdite par la loi Marthe Richard.
La tenue d’une maison de débauche est interdite par la loi Marthe Richard.