CET ART DE RUE
QUI REND PLUS BELLE LA VILLE
Le street art ne se résume pas à de jeunes gens, visages plus ou moins dissimulés, munis de bombes aérosols. Depuis les années 70, ce mode d’expression intimement lié à l’émergence de la culture hip-hop s’est fait multiforme à mesure que les artistes ont multiplié les supports et les techniques.
Jusqu'à présent bien accrochée aux murs, la céramique s’allonge désormais également sur nos trottoirs. Soigner les plaies du bitume avec des pansements en mosaïque qui colorent la ville et l’embellissent, c’est devenu l’obsession du street artiste lyonnais Ememem. Le créateur de ces flaques de carrelage a même, il y a trois ans, donné un nom à ce travail : le flacking.
A Lyon, la terre sainte du street art c’est la Croix-Rousse et ses pentes. C’est là où l’on retrouve les tout premiers flackings d'Ememem. Sans s'embarquer dans une interprétation sociologique, c’est un secteur «bobo» qui permet aux artistes de s’exprimer librement.
Mais la ville évolue et, ces derniers mois, le quartier de la Guillotière, jusqu’à l’avenue Berthelot, est en pleine gentrification. Cette partie de Lyon, à proximité des berges du Rhône et à cheval sur les 3e et 7e arrondissements, devient le nouveau territoire sur lequel se déplace l’art de rue.
On y trouve désormais de nombreuses œuvres signées Ememem, et Skéné, l’autre as lyonnais de la mosaïque, y a déposé ses cœurs. Et si nous emboîtions le pas de ces artistes du bitume dont le travail interpelle les passants amenés à piétiner ces flaques colorées ?
Ememem a fait son nid
A deux lettres près, il a le même pseudonyme que l’un des plus grands rappeurs américains. Et il est aussi mystérieux que les Daft Punk sous leurs casques. Pourtant, avec Ememem, ce n’est pas tout à fait la même musique. Même s’il joue parfois sur sa véritable identité -homme, femme, collectif ou artiste solo-, il affirme ne pas du tout vouloir se construire un personnage à la Banksy, le street artiste britannique anonyme le plus influent du 21e siècle.
L’origine de son pseudo qui désormais lui colle à la peau ? «Ma mob fait vraiment ememem ! Et sinon, c'est aussi un petit conseil désintéressé : aime, aime, aime» lance celui qui met en avant sa timidité. N’empêche qu’il aime le mystère : «Peut-être une fascination pour les super-héros : Zorro, Spiderman, les Pyjamasques. Bref, le mystère est important. Le mystère n’est pas un mur mais un horizon, a déclaré Antoine de Saint-Exupéry».
«Il est venu faire cela la nuit, personne ne l’a vu»
Et comme les justiciers, c’est souvent à la nuit tombée qu’il se rend au chevet du bitume, tout en laissant le moins de traces possibles même lorsqu’il est le centre d’intérêt. Quand, au printemps 2018, la Taverne Gutenberg (dans le quartier de la Guillotière) lui ouvre ses murs pour une exposition, le serial flackeur laisse sa patte dans les escaliers, comme un chemin pour accompagner le visiteur.
«Il est venu faire cela la nuit, personne ne l’a vu» se souvient Marie Lamy, associée du lieu désormais rebaptisé Le Cartel, depuis que la Taverne Gutenberg s’est envolée vers des horizons plus larges aux Halles du Faubourg, dans le 7e arrondissement.
Et si Ememem, prophète en sa ville - d’adoption -, fait partie de la programmation de Peinture Fraîche, le 1er festival lyonnais de street art (du 3 au 12 mai), il n’a surtout pas prévu de s’y montrer. Pierrick, alias Cart1, le directeur artistique et street artiste lui-même, a dû mettre en place un process particulier pour que les œuvres d'Ememem soient livrées sans faire d’entorse à l’anonymat du carreleur fou.
Ememem intrigue autant que ses pansements sur les nids de poule, fissures, trous divers du bitume ou des murs de la ville interpellent. Alors pour essayer de le cerner un peu, il faut arpenter rues, places et traboules lyonnaises. «Le premier flacking est né à Lyon, un jour de février de l'année 2016» se souvient-il. Et de préciser, poète : «Il pèse 3,5 kg et jouit toujours d'une bonne santé, malgré le camion poubelle qui passe dessus tous les matins».
C’est sur le plateau de la Croix-Rousse que l’on trouve ses premiers jets de carrelage. Et dans la cour du Complexe du rire, sur les pentes, là où celui qui travaillait déjà la mosaïque et la céramique avait son atelier.
«Je cherchais, je ne savais pas quoi, mais je cherchais dans les matières et les formes et puis, à un moment donné, j'ai découvert le flacking. Il était là, à portée de main : mon premier trou. C'était un éclair, une explosion, la naissance d'une merveilleuse obsession».
En trois ans, celui qui manie l’art de la truelle aussi bien que le langage imagé a soigné plus d’une centaine de plaies du bitume à Lyon. «C'est simple, je marche, je regarde et j'écoute les trottoirs. Parfois, elles sont suggérées, parfois, ce sont elles qui me trouvent. Mais j'aime le fait que la dynamique soit dictée par la poésie et l'émotion. Certains trous vibrent, d'autres pas».
Ces trous qui lui murmurent à l'oreille contribuent à faire évoluer son travail. Car d’évolution, il en est bien question ces derniers mois dans les œuvres de l’artiste. Ses réparations de blessures sont plus complexes et plus colorées. «Ce sont des évolutions volontaires, des registres stylistiques que j'utilisais quand j'étais artiste-mosaïste, avant d'être Ememem» dit-il.
Et de préciser : «D'autres changements de style arriveront au cours de cette année, je prends le temps de les introduire doucement dans mon travail dans la rue. Je prendrai divers chemins pour créer des classicismes, des mythes et des courants différents autour de mon travail. Quoi qu’il en soit, bien que le flacking puisse me mener loin sur des chemins connus et inconnus, la simplicité de composition des premières œuvres, résultat d’une grande déconstruction, restera toujours la forme la plus pure de tout mon travail».
Le point commun entre les œuvres est l’existence d’un symbolisme lié aux couleurs, à la disposition, à la forme ou à l'environnement. «Chaque trou porte le même message, ou plus d'un, mais l'exprime d'une manière différente» note Ememem.
Un symbolisme qu’il a exporté dans le Jura (à Dole, à Arc-et-Senans), mais aussi en Ardèche (à Privas), à Paris, Turin, Madrid, Gênes ou encore Sète (lors du festival K-live) et Stavanger en Norvège, où il s’est rendu en septembre dernier. «Là où sont des amis, de la famille, là où le vent me porte...» souligne-t-il.
Et qu’ici ou ailleurs ses flaques de carrelage se révèlent comme un rayon de soleil sous les pieds des passants, le touche particulièrement : «Ça fait love !» conclut Ememem. Une sorte de juste retour des choses car, même dans le plus simple des flackings, il y a toujours une symbolique de base : celle de l'acte de réparation et d'amour.
Et Cart1, le directeur artistique du festival lyonnais Peinture Fraîche, ne dit pas autre chose quand il explique son choix d'intégrer dans la programmation de la première édition des street artistes travaillant la mosaïque.
«J’ai voulu montrer que ce que j’aime dans le street art c’est la création qui se cache de partout et fait preuve d’ingéniosité. Ce que j’aime c’est être surpris et le flacking en est le plus bel exemple. On ne l’attendait pas du tout. Des gens qui rebouchent des trous, c’est presque de la science-fiction. Il s’est imposé à moi dans la rue en pur spectateur et je l’ai vu arriver avec bonheur. Il apporte de la joie aux gens.»
Les chasseurs de trésors
«Dans une ère d'hyper-connexion qui nous éloigne de la réalité conventionnelle pour nous en proposer cent autres, le flacking nous invite à regarder où nous mettons les pieds, à vivre le présent, à suivre nos semelles à l'état de veille. Dans ce contexte, je trouve la chasse au flacking géniale. Elle oblige à une certaine attention, à aborder la ville avec un œil différent et entraîne la capacité d'observation et d'imagination» souligne un Ememem heureux que son travail soit l'objet d'une quête pour les chasseurs de street art.
Dans les rangs des chasseurs, Fabien, 36 ans, est en tête de file. Le trentenaire, qui vit à Lyon depuis sept ans et travaille dans la communication, a créé son blog, baptisé HappyCurio, au départ pour partager ses conseils en matière de restaurants et de gastronomie.
Parallèlement, à travers ses voyages et ses balades urbaines, notamment dans Paris, il s’est ouvert au street art en général et au travail du Français Invader en particulier. Et, comme beaucoup, il s’est laissé prendre au jeu de la chasse aux trésors et à l’excitation du challenge de la découverte. Il se souvient : «Frustré de ne pas trouver assez de Space Invaders dans les rues de Lyon, je suis parti à la recherche des flackings d'Ememem même si ça ne rapporte pas de points» (ndlr : une référence à l’application officielle d'Invader qui permet de flasher les œuvres croisées et de cumuler des points en fonction de leur rareté).
Appréciant le côté vertueux de la démarche artistique - réparer le bitume tout en recyclant du carrelage voué à rejoindre la poubelle -, Fabien a posté ses premiers clichés sur son compte Instagram. Et, devant la multiplication des commentaires lui demandant le lieu exact des œuvres, il a eu l’idée de les répertorier sur une Google Maps pour permettre aux gens de les trouver plus facilement. Car l’avantage et/ou l’inconvénient du flacking c’est qu’il se fond très (trop) bien dans le bitume et il faut parfois avoir le nez dessus pour le repérer. Et même avec une localisation, il faut parfois fureter pour finalement se laisser éblouir par l’œuvre.
Il a arpenté les rues de Lyon de long en large, proposant même sur son blog différents parcours type pour découvrir le travail d'Ememem. Et après une bonne vingtaine d’heures de marche cumulées et la participation d’internautes lui signalant parfois les nouvelles livraisons du carreleur fou, il a cartographié environ 90 œuvres sur les quelque 120 flackings réalisés par Ememem dans l’agglomération lyonnaise. Le nombre exact de réalisations, même le street artiste ne le connait pas. D’autant que certaines disparaissent au gré des travaux réalisés sur les trottoirs.
«Parfois, je reçois des messages sympas qui me tiennent au courant de la santé de certains flackings, souligne Ememem. Il est arrivé qu'un flacking ait été récupéré par un passant pendant que les travaux en cours l'évacuaient. Un autre est revenu à la maison et nous étions tous très excités lorsqu'il a frappé à la porte sous le bras d'un ami. Et avec Instagram, grâce à toutes les personnes qui publient et m'envoient des photos et des stories, je peux suivre l'évolution de certains. En tout cas, j’ai confiance. Je sais que depuis leur plus jeune âge ils ont appris à faire face aux dangers de la vie et qu’ils s’occuperont d’eux-mêmes et de tous ceux qui croiseront leur chemin. Avec amour et attention jusqu'à la fin de leurs jours.»
Adèle Alberge a grandi à Grenoble, dans les années 80, et au plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours été attirée par l’art urbain et les dessins de rue. Mais, durant longtemps, elle n’a pas du tout évolué dans ce monde.
C’est son installation à Lyon et son envie de partir à la découverte de sa ville d’adoption, souvent à pied et appareil photo en bandoulière, qui la fait basculer. Dans sa quête avide d’appropriation de son nouvel environnement quotidien, de rue en rue, elle s’aperçoit de la richesse lyonnaise en termes d’œuvres éphémères.
Nous sommes début 2015 et la Croix-Rousse et ses pentes constituent le terrain de jeu de prédilection des street artistes, lyonnais ou de passage dans la capitale des Gaules. «J’ai commencé à faire des photos des œuvres que je croisais, puis à les poster sur les réseaux sociaux. Là, j’ai réalisé que derrière les œuvres, il y avait des noms, des artistes. J’ai ensuite commencé à y associer des petits textes poétiques, libres interprétations des œuvres photographiées» explique la quadragénaire.
Au fil du temps, elle comprend également qu’elle est devenue une chasseuse de street art et a pénétré ce qui est une véritable communauté. Une communauté ayant grandi avec l’explosion des réseaux sociaux dans le quotidien des gens, et en particulier Instagram où la photo est reine.
Et, lorsqu’au bout de quelques mois, un de ses amis lui a fait remarquer qu’il était dommage que ses posts se perdent dans les limbes du net, l’idée d’un livre a germé. «Plutôt qu’une libre interprétation des œuvres, je me suis dit que le mieux était de demander aux artistes ce qu’ils avaient voulu exprimer. Je leur ai proposé mon projet et ils m’ont tous suivie» se souvient-elle.
Ainsi, la chasseuse de trésors est devenue l’autrice du premier livre sur le street art à Lyon. L’ouvrage intitulé Les cris des murs (aux éditions du Poutan) est sorti en octobre 2018 et sa couverture met en lumière le cœur en mosaïque de Skéné à la Guillotière.
Skéné l’atout cœur
Skéné transpire l’amour. Ce pseudonyme, dérivé du grec ancien et qui désignait la structure rectangulaire à l'arrière d'une scène de théâtre, a aussi une signification bien plus personnelle et intime pour ce street artiste. Ou plutôt devrait-on dire, ces street artistes. Car Skéné c’est un gars et une fille, des artistes bicéphales avec des modes de pensée différents mais qui, au final, chérissent ces moments passés à travailler ensemble dans l’harmonie.
Et l’histoire de Skéné a tout de la comédie romantique quand, ce jour de juillet 2016, il est venu déposer au pied de l'immeuble de sa bien-aimée un cœur en mosaïque, qu’il avait réalisé pour lui dire son amour.
«Même s’il n’est resté que quelques heures avant d’être dérobé, on a vu que cela donnait le sourire aux gens» se souvient-il.
Elle note : «C’est parce que l’on s’aime que Skéné est né». Car après cette déclaration en mosaïque, elle lui a fait un appel du pied pour commencer à répandre des cœurs dans la ville : «On voyait le travail que faisait Ememem avec la mosaïque et on a trouvé là une démarche pour exprimer notre amour».
«On aime les lieux qui ont du sens»
Discrets et modestes malgré la reconnaissance manifestée au fil des mois par les amateurs de street art, les amoureux ont plus l’impression de faire du bricolage que de créer des œuvres. Un travail «simple et sans prétention», finalement à leur image. Elle réalise le dessin sur papier, lui procède à la découpe du carrelage (ils utilisent aussi la pâte de verre plus solide et qui se patine avec le temps).
Le cœur reste la base du travail de Skéné et la marque de fabrique. Unique ou multiples, accrochés aux murs ou étendus au sol, ils ont été déposés en différents endroits de Lyon. «On aime les lieux qui ont du sens, il faut que ça nous parle» notent-ils.
Alors Skéné a laissé une trace devant les domiciles des personnes qu’ils aiment ou dans des spots pleins de symbolique comme la pointe Confluence, là où se rejoignent la Saône et le Rhône : «C’est le symbole de la communion entre deux êtres. Et quand on a vu ce trou là-bas, cela s’imposait».
Autre symbole, ce cœur géant déposé dans le passage de l’Argue, sur un socle laissé vide depuis le vol de la statue qu’il soutenait. Il a été déposé à l’occasion de la Saint-Valentin. Mais au petit matin, il avait déjà disparu. Pas de quoi décourager les street artistes qui se sont remis au travail pour le refaire et, cette fois, le sceller plus solidement.
Les commerçants du passage ont été ravis de l’offrande quasiment tombée du ciel et ont souhaité remercier leurs bienfaiteurs. Mais les artistes ont préféré rester dans l’ombre : «On ne veut pas que l’argent entre en ligne de compte ». Car, qu’on se le dise, Skéné a un cœur gros comme ça.
A tel point que les amoureux ont accepté que l’on suive l’un de leurs derniers projets, de la création à la pose. Un projet baptisé Flowers saison 2 en référence à la première œuvre Flowers, qu’ils avaient installée au printemps 2018 sur la place Bellevue à la Croix-Rousse et qui a depuis été subtilisée. Une fois encore. Une œuvre champêtre qui reprend les couleurs des fleurs printanières.
Les précurseurs de la mosaïque
INVADER
Le graffeur et mosaïste français Franck Slama dit Invader installe depuis 1996 des Space Invaders - hommage à ces aliens du jeu vidéo de son enfance - en mosaïque façon pixels, sur les murs de grandes métropoles du monde.
L’invasion démarre véritablement à Paris, aujourd’hui encore le lieu de la plus forte concentration d’œuvres. Il y en aurait précisément 1340, selon l’application lancée par l’artiste lui-même et qui permet aux fans de flasher les œuvres qu’ils croisent afin d’obtenir des points et grimper dans le classement des chasseurs de Space Invaders. A Lyon, il y en aurait une cinquantaine à retrouver.
JIM BACHOR
A l’origine du flacking, dont le nom n’avait même pas encore germé dans l’imagination du street artiste lyonnais Ememem, on trouve les mosaïques urbaines de l’Américain Jim Bachor.
«C'est un grand mosaïste, dit de lui Ememem. Je pense que nous utilisons le même support et, malgré des différences importantes, les techniques restent similaires mais l'approche et le style sont très différents. Profondément différents. Jim est un grand artiste et Ememem est un fils du bitume ».
Cet ancien directeur artistique dans une agence de publicité a posé sa première œuvre dans sa propre rue, de Chicago, pour combler un nid de poule, une nuit de 2013, avec un voisin qui faisait le guet. Il s’agissait au départ de réparer de manière durable un bitume qui se creusait.
Son intérêt pour les carreaux de mosaïque est né de voyages à Pompéi, où des exemples vivants de cette forme d'art ont survécu pendant des millénaires. L’Américain a multiplié les œuvres, très influencées par la publicité, et son travail a été scruté par les admirateurs. Ce qui n’a pas empêché que certaines œuvres soient recouvertes d’asphalte par les services municipaux.
Les héritiers du pixel à Lyon
IN THE WOUP, L'AS DES CROISEMENTS
In the Woup propose des œuvres à l’univers très geek, inspirées par les mangas, la BD, les comics, les jeux vidéo, la littérature ou le cinéma. «Je ne me mets pas de limite» dit ce trentenaire élevé aux consoles de jeux vidéo et au Club Dorothée. «Naturellement le pixel me parle, d’où la mosaïque» précise encore celui qui a débuté dans le street art il y a une quinzaine d’années en utilisant la technique du pochoir.
Il s’est installé à Lyon il y a six ans. Des années durant lesquelles il a essaimé ses mosaïques (20 à 25 à ce jour) à travers la ville, principalement dans le Vieux Lyon (sept pièces à découvrir) et sur les pentes de la Croix-Rousse. Rien de politique dans son expression : «Ce n’est que du fun. Le but n’est pas d’oppresser les gens, il y a déjà beaucoup de noirceur. Je veux offrir un îlot de couleurs et de bonheur.»
Son projet baptisé Mario worldz consiste en un croisement entre le fameux plombier à la salopette bleue inventé par Nintendo et des personnages issus d’autres mondes. Ainsi avec In the Woup, Mario peut emprunter le costume de Zorro, de Spiderman, des Schtroumpfs ou d'Astérix. Le street artiste, qui est également illustrateur a, à ce jour, imaginé 144 «crossover» de ce type. Tous n’ont pas été posés sur les murs de Lyon loin de là. Ses Mario revisités en Deadpool, Robin des Bois, Lucky Luke ou Shrek ont voyagé jusqu’à New York ou Montréal mais aussi au Mexique, au Kazakhstan, au Kirghizistan ou dans l'Himalaya.
40 à 100 € de matières premières par oeuvre
Pour lui, Invader est véritablement le père de la discipline et le modèle, qu’il espère rencontrer un jour. Entre les deux street artistes, la technique est assez semblable («J’achète les carreaux, je peins tout à la main et j’assemble dans mon atelier. Cela peut prendre plusieurs jours») et s’adapte assez peu au sol. Alors, il part à la recherche des murs les plus intéressants en termes de teinte ou d’environnement (lieu de passage, clin d’œil à un élément de cet environnement dans l’œuvre).
Son but : «Égayer le quotidien des gens, ne pas les ennuyer». Un respect qui lui interdit de coller une œuvre sur un beau bâtiment comme une cathédrale. Désormais, telle une marque de reconnaissance pour son travail, des propriétaires, notamment de commerces, l’invitent à utiliser leurs murs. Des œuvres qui sont fixées toujours très en hauteur pour éviter au maximum la dégradation et le vol.
Comme de nombreux street artistes, In the Woup préfère rester dans l’ombre et pas seulement parce que cela reste illégal. «Je ne cherche pas une reconnaissance, glisse-t-il. Ce qui me pousse c’est la passion et tout le bonheur que m’ont procurés les personnages que je mets en scène».
Un plaisir de faire et d’offrir à voir qui a un coût puisqu’une œuvre c’est 40 à 100 euros d’investissement en matières premières. Un prix qui n’est pourtant pas un frein. In the Woup ambitionne de continuer à répandre ses personnages tout en pixels entre Rhône et Saône, en faisant des incursions dans les 7e et 2e arrondissements ou encore à Villeurbanne.
MIFAMOSA, AU NOM DES RUES
Un cornet de frites sur le boulevard des Belges, deux têtes d’ampoules avenue des Frères Lumière ou un drapeau anglais avenue de Grande-Bretagne : Mifamosa s’amuse en amusant les familles (son pseudo vient en effet de Mifa, famille en verlan, et mosa pour mosaïque).
Avec humour ou poésie, il illustre les noms de rues en assemblant des émaux de Briare. Des œuvres qu’il accole aux plaques existantes et qu’il signe de trois petits points formant un triangle.
Le street artiste n’a pas 30 ans et a débuté en jouant sur la symbolique des noms il y a presque deux ans. D’abord à Orléans, où il vit, puis à Angers ou Tours. Et, au gré de ses vacances ou de ses voyages, celui qui s’affirme totalement autodidacte a posé sa griffe sur les murs bien au-delà du Val de Loire.
A Lyon, muni de son échelle et aidé de ses amis, il a posé - évidemment de nuit pour la discrétion - huit mosaïques en différents points de la ville, s’éloignant même des lieux traditionnellement investis par les street artistes.
Ses œuvres invitent à lever un peu la tête et à voir différemment des angles de rues qui nous sont pourtant familiers.
Dégradations, vols et illégalité
Parfois taxés de vandales par leurs détracteurs, les street artistes eux-mêmes doivent faire face au vandalisme voire aux vols. Mais cela fait partie du jeu et chacun s’en accommode bon an mal an. «Quand on pose dans l’espace public on sait que c’est éphémère. A partir du moment où elle est dans la rue, notre œuvre ne nous appartient plus, c’est la règle» lance le Lyonnais Cart1.
«Quand cela ne reste en place que deux jours, cela nous embête un peu» tempère cependant Skéné dont nombre d’œuvres ont disparu de la capitale des Gaules, comme notamment ces cœurs blancs et rouges disposés sur des pavés de la rue Mercière.
"Un respect de l’œuvre mais pas forcément de l’artiste"
Et si ces mosaïques disparaissent c’est aussi parce qu’elles plaisent. Sophie, à la tête d’un atelier de céramique, a déjà eu à réparer des œuvres issues de la rue : «Mes clients sont des personnes qui décrochent dans la rue pour garder chez eux quelque chose qu’ils aiment. En tous les cas, de ce qu’ils me disent. Ce sont vraiment plus des collectionneurs que des pilleurs à des fins de revente. Ces gens ont un respect de l’œuvre mais pas forcément de l’artiste».
Ce sont essentiellement des œuvres d’Invader (trois ou quatre) qui sont passées entre les mains réparatrices de Sophie : «En général ce sont des carreaux qui ont été cassés lors du décrochage. Pour une restauration de mosaïque, contemporaine ou ancienne, la technique reste la même : on comble les lacunes avec du mastique et on recrée l’illusion de la texture avec de la peinture».
Et si la céramiste a eu à se pencher sur des Space Invaders, ce n’est pas un hasard. L’histoire la plus célèbre dans le milieu du street art est justement celle d’Invader, dont les œuvres ont pris une belle valeur avec le temps. Une fresque en mosaïque pourrait se vendre plusieurs dizaines de milliers d’euros. A tel point que des voleurs ont décollé une vingtaine de Space Invaders des murs de Paris, se faisant passer pour des agents municipaux afin d’agir en plein jour sans trop attirer l’attention.
Invader ne peut que constater ce pillage après avoir été débouté par la justice en 2016 car ses œuvres avaient été posées sur l’espace public bien souvent sans autorisation. En 2017, la Ville de Paris, qui apprécie le travail du street artiste dans ses rues, a elle déposé plainte pour «usurpation de fonction».
Jusqu'à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende
Selon la loi, lorsqu’il n’y a eu aucun accord entre le street artiste et le propriétaire du support utilisé pour sa création -ce qui est très souvent le cas-, l’œuvre est juridiquement considérée comme un acte de vandalisme. Et fait donc encourir une peine pénale à son auteur : au maximum deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
En pratique, concernant les street artistes travaillant la mosaïque, le côté vandalisme n’est quasiment jamais mis en avant par les autorités ou les propriétaires de bâtiments.
Si à Lyon, la Métropole n’a pas donné suite à nos demandes sur le sujet, officieusement, il se murmure qu'élus et responsables de la voirie sont enchantés de cette créativité. A un bémol près cependant. Leur inquiétude porte sur le côté potentiellement glissant du carrelage. Ils verraient donc d’un bon œil que les street artistes le prennent en compte.
En trois ans de sorties nocturnes, à Lyon ou ailleurs, Ememem n’a jamais rencontré le moindre problème. « La voirie fait son travail et je n'ai jamais eu de plainte de leur part. Nous sommes un peu comme des collègues dans un sens. Et avec la police, R.A.S. Parfois, ils me complimentent et me souhaitent même un bon travail. Je pense que la truelle n'est pas perçue de la même manière que l'aérosol et, en tout cas, n'a pas d'antécédent semblable à celui-ci. Il y a donc absence de préjudice » note le serial flackeur.