Trois grands titres
pour l’âge d’or
de la presse stéphanoisE

L'histoire de la presse locale à Saint-Etienne, épisode 2

Trois quotidiens dominent le paysage éditorial stéphanois de 1914 à 1944 : La Tribune républicaine, La Loire républicaine et le Mémorial. Chacun défend son camp et ses idées.

Jusqu’en 1914, nombre de journaux, hélas très souvent éphémères, paraissent de-ci, de-là, à gauche comme à droite au sens premier ou politique du terme.

Pendant la Première Guerre mondiale, la censure du gouvernement impose un discours nationaliste, rassembleur qui veut unir la population derrière ses armées, au prix d’une vision édulcorée qui évite le défaitisme face à la situation militaire.

Au sortir de la guerre, ne restent principalement que les trois titres qui représentent chacun une part de l’opinion publique locale : la droite catholique avec le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire d’une part et la gauche radicale avec La Loire républicaine et la gauche socialiste avec La Tribune républicaine d’autre part.

Ces trois journaux, dotés chacun d’un lectorat fidèle et nombreux, dominent le paysage éditorial stéphanois. Est-ce l’âge de la maturité ?

Le Mémorial

En 1845 Henri Théolier créé le Mémorial judiciaire de la Loire. En 1848, l’organe de presse prend un titre plus conforme avec ce qu’attend le nouveau régime de la IIe République : L’Avenir républicain. Puis l’avènement de l’Empire oblige le journal à se rebaptiser L’Industrie. Enfin, ce dernier laisse la place au Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire en 1854.

Dans sa profession de foi, celui-ci « se propose de devenir l’interprète de l’opinion publique dans nos contrées ». Il se pose ainsi en organe politiquement objectif mais la suite du discours traduit bien son allégeance à l’Empereur : « Nous donnons notre faible concours au gouvernement populaire et fort qui a fait renaître la confiance dans notre pays. »

Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire est un journal catholique et orienté à droite. Il prend sous le Second Empire la défense des intérêts commerciaux et industriels de la classe dirigeante locale. Sous la IIIe République, il prend le parti du clergé dans les luttes cléricales du tournant du XXe siècle.

Le journal associe dans son titre les deux départements voisins à cause des liens démographiques et économiques, et pour diffuser le « Mémo » aussi bien dans la ville noire que dans le Velay. C’est le principal titre de cette époque, sans rival jusque dans les années 1880 et l’apparition de La Loire Républicaine en 1885 puis de La Tribune Républicaine en 1899.

Le quotidien est dirigé par Henri Théolier, son créateur puis par son fils jusqu’à sa mort en 1895. Joannès Thomas prend la suite puis Pierre Bernard lui succède en 1924. Partisan d’une culture sélective, des articles d’histoire locale paraissent le dimanche, écrits par Noël Thiollier ou Louis-Joseph Gras. Jean Parot y publie aussi sa chronique : la Gazetta de San Tsiève.

Le journal tire à 30 000 exemplaires vers 1920 pour neuf éditions dans la Loire et la Haute-Loire. En 1930, le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire devient Le Mémorial. Sa zone de diffusion s’étend à quinze éditions de la Bourgogne à l’Ardèche pour un tirage allant de 65 000 exemplaires en semaine à 75 000 le week-end.

La Loire républicaine

La Loire Républicaine, journal du soir, est fondée en 1885 par Urbain Balaÿ, imprimeur. Selon Antoine Puillet, un ancien reporter, « c’est un journal d’information qui attache plus d’importance aux faits qu’aux idées ».

Du 26 rue de la Bourse à Saint-Etienne, le journal déménage au 16 place Marengo dans un immeuble construit par Léon Lamaizière de 1907 à 1912, à proximité immédiate de la préfecture.

Les principaux personnages de La Loire Républicaine sont Jean-Marie Bonche (directeur), Clément Forissier, Etienne Michel. Jean-Baptiste Galley écrit des chroniques issues de ses ouvrages d’histoire locale. La Loire républicaine se distingue en 1935 par ses reportages sur le député la Haute-Loire, Philibert Besson qui, hors-la-loi, a pris le maquis pour mieux narguer les autorités en apparaissant subrepticement, par exemple lors d’une réunion publique tenue place Chavanelle.

La Loire Républicaine, comme l’ensemble des quotidiens locaux de l’entre-deux-guerres connaît progrès et croissance : de 18 000 exemplaires vers 1920, le journal tire à 30 000 exemplaires en 1939. Il comporte cinq éditions : Saint-Etienne, Ondaine, Gier, Montbrison, Roanne.

La Tribune républicaine

La Tribune républicaine est fondée le 31 octobre 1899 et s’installe tout d’abord au 34 rue du Grand Gonnet. Ses fondateurs sont Alphonse Gintzburger, un Alsacien juif et Louis Soulié, promis à un avenir local brillant. La Tribune républicaine débute son existence par la grève générale des passementiers du 18 décembre 1899 au 13 février 1900, accompagnée elle-même par une grève plus courte des mineurs. Le nouveau titre se présente alors comme l’organe des partis progressistes. Les deux dirigeants achètent en 1905 le siège du Stéphanois au 10 place Marengo. C’est là qu’ils feront construire leurs locaux historiques en 1933.

Le journal est un pilier du monde politique de gauche : Jean Jaurès y écrit, Aristide Briand, député de la Loire, président du Conseil général fait partie du Conseil d’administration. L’homme fort, Louis Soulié, est le leader du bloc républicain socialiste et bientôt maire de Saint-Etienne, de 1919 à son décès en 1939.

La Tribune républicaine règne presque sans partage jusqu’en 1944 laissant ses deux principaux concurrents, Le Mémorial et La Loire républicaine loin derrière. Son tirage d’après-guerre est florissant : 60 000 exemplaires répartis en vingt éditions sur huit départements : Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Allier, Saône-et-Loire, Rhône, Isère, Ardèche. Le Mémorial tire à 30 000 exemplaires, La Loire républicaine à 18 000.

La parution continue malgré la guerre et l’Occupation

Pendant la Seconde Guerre mondiale, La Tribune républicaine, La Loire républicaine et Le Mémorial sont soumis au contrôle de la censure dès mai 1940. Cette poigne de fer s’alourdit avec l’instauration de l’Etat français. Le service de la censure veut avoir l’œil sur tout et envoie ses consignes. Celles du 5 janvier 1941, par exemple, rappellent « de ne pas insister sur le côté pénible des restrictions. Pas de photos de files d’acheteurs » ou interdisent « l’expression « nazi » ou « nazisme » ».

La censure impose aussi certains titres : les journaux doivent les choisir parmi une liste mais l’administration de Vichy rappelle qu’ils doivent se les répartir et non utiliser les mêmes. L’important est l’illusion d’une presse libre.

S’ils continuent de paraitre et se soumettent ainsi au régime de Vichy, les trois journaux connaissent des parcours différents.

La Loire républicaine se limite rapidement, comme ses concurrents, à une seule feuille. Plus par opportunisme que par idéologie, son anticommunisme excepté, la rédaction suit les consignes de la censure et rapporte les idées de Vichy et du maréchal.

Le Mémorial maréchaliste s’accommode bien du régime de Vichy et de ses idées dont il est proche. Même si son directeur, Pierre Bernard, fonde avec d’autres à Lyon des journaux résistants, Le Mémorial entre largement dans la voie de la collaboration.

A La Tribune républicaine, les dirigeants de confession juive doivent partir sous l’Occupation après la promulgation des statuts des juifs par le gouvernement de Vichy. En 1941, la BBC qualifie le journal « d’anti-maréchaliste ».

Les journaux collaborationnistes, tels que La Gerbe et Gringoire l’attaquent avec virulence et visent particulièrement Jean Nocher, membre de la rédaction et Résistant gaulliste.

Bien que réticent face au régime et à la censure, le titre continue de paraître (pour éviter la déportation au personnel et continuer d’amener une aide logistique à la Résistance) même avec l’envahissement de la zone sud. En 1943, la censure envisage un temps sa suspension définitive.

La fin d'une époque...

Les trois journaux paraissent jusqu’au 19 août 1944. C’est la Libération de Saint-Etienne. Pour le simple fait d’avoir paru après l’invasion de la zone libre le 11 novembre 1942 (Le Progrès de Lyon, lui, s’est sabordé et pourra reparaitre), Le Mémorial, La Loire républicaine et La Tribune républicaine, que l’on croyait ancrés pour toujours dans le paysage, sont supprimés. La fin d’une époque.

La Loire républicaine ne reparaitra jamais. En janvier 1961, un arrêté du ministre de l’Information restitue les biens à la société Théolier. Jean Bernard, le fils de Pierre Bernard, lance sur les presses de la rue Gérentet Le Nouveau Mémorial, journal d’inspiration chrétienne, le 27 mai 1964. Malgré une qualité certaine, le titre ne réussit pas à attirer une clientèle de lecteurs suffisante pour équilibrer les dépenses. Il s’arrête rapidement le 29 octobre 1964 au 134e numéro.

La Tribune républicaine renaît, elle, en août 1950. Pour le principal quotidien stéphanois du XXe siècle, l’histoire continue.